La place de Messie est déjà prise

Au cours de récentes élections présidentielles et dans plusieurs pays, la communication des candidats ou des heureux élus s’est curieusement teintée de notes messianiques, voire divino-royales, présentant les impétrants comme des sauveurs. Qu’un Messie soit attendu dans le monde occidental, qui ne sait plus d’où il vient ni où il va, qui attend qu’on lui montre La Voie du Salut, et qui manifeste à cet égard bien des ressemblances avec le monde juif du premier siècle de notre ère, c’est un fait : mais ce Messie est déjà venu, il y a plus de deux mille ans, sous le nom de Jésus de Nazareth. Et le moins que l’on puisse dire est que l’image qu’il a laissée est loin de celle de ses prétendues réincarnations…

Messie parmi les docteursNon il n’est pas sorti de la cuisse de Jupiter, mais il « est né d’une femme » de Galilée comme « sujet de la Loi » (Ga 4,4) et a vécu dans petit village obscur dont ses contemporains se gaussaient : « De Nazareth, peut-il sortir quelque chose de bon ? » (Jn 1,46). Il ne semble pas avoir fait de « grande école », mais l’on sait pourtant qu’à douze ans, son intelligence de la Loi mosaïque étonnait les docteurs de son temps (Lc 2,41-50) : il n’en a pas moins vécu jusqu’à la trentaine auprès de ses parents, comme le font tant de jeunes aujourd’hui, sans prétendre révolutionner le monde. Là, il a grandi en taille, en sagesse et en intelligence (Lc 2,52), dans la discrétion de la petite synagogue locale.

A la fin de cette longue période d’apprentissage de la vie d’une petite bourgade, où il a peut-être eu des responsabilités dont nos textes ne disent toutefois rien, il a rejoint un prédicateur de renom, Jean, sur le bord du Jourdain où ce dernier baptisait. Il ne s’est pas cru autorisé à se distinguer de son propre chef, et il est passé par le baptême (Mt 3,13-15), comme tout le monde autour de lui le faisait. Il est devenu disciple du Baptiste, dans l’austérité partagée avec d’autres disciples. Il a fait là son apprentissage de la vie commune, sans grands moyens financiers, vivant de la bienveillance des gens alentour.

Quand le Baptiste qui gênait beaucoup de monde par sa prédication a été arrêté par les autorités locales (Mt 14,3-11), il a pris le relais, rejoint par d’autres disciples du même Baptiste, puis par toute une foule de gens qui trouvaient dans la puissance de la prédication et des gestes de guérison du nouveau prédicateur une espérance. A-t-il comblé celle-ci, au point de conduire certains à retourner leur veste en faveur de Jésus, le « petit nouveau » ? Nos textes disent que oui, mais à la vérité, ce sont moins les foules qui se sont tournées vers lui que lui vers elles, parce qu’elles étaient « comme des brebis sans pasteurs » (Mc 6,34).

Il a auprès d’elles acquis un certain renom, mais cela s’est fait sans aucun support médiatique, sans occuper la Une des journaux ou des revues de son temps. Son audience s’est pratiquement limitée à la Galilée, et elle fut éphémère : parce que Jésus a toujours refusé d’être adoubé par la vox populi, fût-elle limitée, et que seule la voix de Dieu, qu’il appelait son Père, comptait pour lui. Celui-ci l’avait bien élu (Mt 17,5 ; Lc 9,35) afin de mettre en oeuvre un important programme de réformes énoncé publiquement et d’emblée dans les Béatitudes (Mt 5), mais ce programme renversant n’a pas eu l’heur de plaire aux foules : il y dénonçait en particulier les durs de cœur, les puissants ou la richesse « trumpeuse ». Ces foules attendaient autre chose, de la gloire, du strass, des paillettes, et, dans leur versatilité, elles n’ont pas tardé à se retourner contre lui, jusqu’à demander, le moment venu, sa mort…

Elle a eu lieu, sans beauté ni éclat (Is 53,2), vraisemblablement en l’an 30, dans l’abandon et le mépris de presque tous ceux qui l’avaient d’abord suivi : seul, sur une croix. Son Père du ciel, et sa mère de la terre, plus quelques autres disciples sont restés jusqu’au bout à ses côtés (Jn 19,25-27). 

La gloire de Jésus, sa reconnaissance comme Messie, ne sont pas vraiment nées de son vivant, mais bien plus de sa résurrection par laquelle Dieu l’a entièrement justifié : « Dieu l’a fait Seigneur et Christ ce Jésus que vous avez crucifié » (Ac 2,36). Ses disciples n’ont pas d’autre sujet de fierté que la croix de leur Seigneur, que plusieurs portent modestement à la boutonnière ou autour du cou, en signe d’allégeance : ils savent que cette croix leur est promise à eux aussi s’ils veulent suivre leur Seigneur jusqu’à la fin. Ils ne cherchent donc ni les honneurs, ni les premiers bancs dans les églises (Mt 23,6) ou les rassemblements publics, ni une quelconque reconnaissance, ils ne regardent pas des pyramides du haut desquelles plus de quarante siècles les contempleraient, ils se tiennent au contraire tout en bas, auprès de ceux qui souffrent dans leurs corps ou dans leurs cœurs, auprès des oubliés et abandonnés de la société. Auprès d’eux et en eux, ils retrouvent leur Messie !

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

*

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.