Frères et sœurs, la première lecture nous propose quelque chose d’étonnant, une sorte de refus de Dieu que Dieu lui-même valide ! Le peuple dit en effet : « Je ne veux plus entendre la voix du Seigneur mon Dieu » et Dieu répond par la voix de Moïse : « Ils ont bien fait de dire cela ». S’il faut prendre ces mots au pied de la lettre, Dieu n’a plus rien à nous dire et… moi non plus ! Mais la réponse de Dieu ne s’arrête pas là : « je ferai se lever au milieu d’eux un prophète ». Autrement dit, Dieu n’a pas choisi de se taire, mais de passer la main à un homme de son choix, à un prophète « comme Moïse ». Pour un chrétien, ce prophète médiateur ultime ne saurait être autre que Jésus, mais il y en eut bien d’autres avant lui. L’occasion est donc bonne de se demander ce qui caractérise un prophète, ce qui permet de le reconnaître ou même, ce qui permet de le devenir puisque, par notre baptême, nous avons cette capacité.
Pour la pensée commune aujourd’hui, un prophète est quelqu’un qui annonce l’avenir, ce qui d’une part le relie très peu au présent, et d’autre part autorise toutes les vaticinations tant que l’avenir n’est pas là ! La réalité est très différente si l’on en revient à l’étymologie du terme : littéralement, le grec prophêtês signifie « parler au nom de ». Pour faire court, le prophète est le porte-parole de Dieu, et sa parole doit non seulement être celle de Dieu s’il est un vrai prophète, mais concerner autant le présent que l’avenir. Et sans doute même plus le présent que l’avenir.
À ce compte-là, nous comprenons que les vrais prophètes ne sont pas légions ! Par contre, que de diseurs de bonne aventure : des hommes politiques, tous les thuriféraires d’un homme nouveau qui sera peut-être nouveau mais certainement pas homme, et plus généralement tous ceux que le Seigneur n’a pas envoyés. La différence avec Jésus est à la fois très perceptible et immense : lui ne fut pas seulement porte-parole de Dieu, mais parole même de Dieu, une parole pour son temps comme pour le nôtre, une parole éternellement actuelle. Voilà pourquoi les scribes parlent d’un enseignement nouveau donné avec autorité : la parole de Jésus est agissante pour guérir, conduire, soutenir, renouveler. Comme on le dit en théologie, elle produit ce qu’elle signifie et elle le fait dès aujourd’hui.
Le drame de notre monde est que cette parole, la seule qui vaille, n’est le plus souvent pas entendue, on lui préfère « l’information », le tweet, des musiques parfois qualifiées d’ambiance et que sais-je encore. Or, vous connaissez sans doute la manière dont cette parole de Dieu se communique au prophète Elie, comme « le bruit d’une brise légère » (1 R 19,12 dans la BJ) ou, pour d’autres traducteurs, comme un « silence subtil » (Chouraqui) ou un « souffle ténu » (TOB)… Dans la cacophonie ambiante, l’écoute du texte biblique, mais aussi des prophètes que Dieu continue d’envoyer est exigeante : pour les entendre, il faut en effet faire silence, et il n’y a jamais eu autant de bruit en nous et en dehors de nous !
Il nous faut donc vivre ou retrouver les moyens de ce silence. On pense spontanément et justement à la prière, au recueillement, à toutes les formes de retrait temporaire du monde qui nous entoure, mais la deuxième lecture voit plus large, elle invite à « être libre de tout souci », afin de s’attacher aux affaires du Seigneur sans partage. Alors, frères et sœurs, débranchez régulièrement votre radio, votre smartphone, votre télévision, déposez vos journaux et vos revues pour prendre dans vos mains la Bible ou même un bon livre de spiritualité, faîtes retrait, ou retraite, mais aussi, dès le matin, confiez votre journée au Seigneur, et revenez vers lui à plusieurs reprises au long du jour : en vous attachant à lui, vous deviendrez vraiment ses porte-paroles, pardon je voulais dire ses prophètes.