Frères et sœurs, vous connaissez sans doute la situation qui fut dans l’histoire celle des lépreux, et qui se prolonge encore dans de nombreux pays : une mise à l’écart radicale. Les raisons sont de deux ordres : contagion physique possible, mais aussi, comme le laisse entendre notre évangile, impureté puisque la maladie était considérée comme une conséquence du péché. Les lépreux vivaient donc dans une sorte de désert géographique et spirituel.
Ce qui me frappe dans l’évangile d’aujourd’hui, c’est le changement qui touche les deux acteurs principaux, à savoir le lépreux et Jésus lui-même. De qui en effet nous dit-on à la fin du récit qu’il est à l’écart dans un endroit désert ? Non pas du lépreux, mais de Jésus qui fuit la foule. Le lépreux lui a rejoint ses concitoyens auprès desquels il annonce la bonne nouvelle de Jésus. Il y a donc là comme une inversion étonnante des situations…
Qu’est-ce qui a provoqué cette inversion ? La guérison du lépreux, dans laquelle Jésus a fait fi de toutes les conventions, de tous les jugements : il a touché celui que l’on ne devait toucher sous aucun prétexte. Et il l’a fait à la demande du lépreux lui-même qui n’aurait jamais dû demander quoi que ce soit. Cet évangile est finalement celui des renversements.
Mais n’est-ce pas le cas de l’évangile tout entier ? Jésus renverse les usages avec le même enthousiasme que les tables des changeurs, et, pire aux yeux des bien-pensants, il incite ceux qui le connaissent à faire de même. Attention, pas pour le plaisir, pas pour faire la révolution, pas pour se faire remarquer, non, pour aucune de ces mauvaises causes, mais parce que la charité le presse. C’est elle en effet dont nous parle indirectement saint Paul dans la première lettre aux chrétiens de Corinthe lorsqu’il écrit : « Je tâche de m’adapter à tout le monde, sans chercher mon intérêt personnel, mais celui de la multitude des hommes, pour qu’ils soient sauvés ».
Frères et sœurs, qu’on se le dise : la charité est subversive, elle est renversante ! Je sais qu’elle a parfois mauvaise presse, parce qu’on la confond avec de la pitié mal vécue, mais lorsqu’on la prend pour ce qu’elle est vraiment, un don d’amour de Dieu, sa présence vivante et agissante, la part divine de notre être, alors elle ne peut laisser personne tranquille tant que cet amour n’a pas envahi nos cœurs et les cœurs de ceux qui nous entourent. Et son effet n’est pas la mise à l’écart, la dispersion, l’ostracisme, mais la communion de tous dans l’unique corps du Christ.
Aujourd’hui, 11 février, c’est la fête des apparitions à Lourdes et la journée des malades. Aujourd’hui plus que jamais, la charité nous presse et nous interdit de laisser de côté nos frères malades, âgés, qui attendent une visite, un soutien. La presse a parlé récemment des maisons de retraite, que l’on préfère appeler EHPAD pour se cacher la vue, et dans lesquelles chacun de nous ici pourrait bien finir un jour : il est temps de nous laisser toucher comme Jésus l’a été, il est temps de remettre les malades au cœur de nos cités comme ils le sont dans la cité mariale de Lourdes.