Décroissance, un terme à la mode, en particulier chez mes amis de la revue Limite. Or chacun le sait, la mode n’a qu’un temps, et certains concluront que la décroissance n’est qu’un gros mot qui va « passer de mode ». Ils en seront d’autant plus heureux que le mot fait peur : ne s’agirait-il pas de revenir à l’âge de pierre ? Bien sûr, ce n’est pas le cas, mais cela reste la perception de beaucoup de nos amis.
Alors, commençons par le commencement, et revenons à une lointaine époque, celle du début du christianisme. Juste pour faire remarquer qu’un saint Jean-Baptiste était déjà un adepte de la décroissance : « il faut que lui, Jésus, grandisse et que moi je diminue » (Jn 3,30). Et là, il ne faisait que suivre, certes à sa manière, l’invitation de Jésus : » Jésus appela à lui un petit enfant, le plaça au milieu d’eux et dit: « En vérité je vous le dis, si vous ne retournez à l’état des enfants, vous n’entrerez pas dans le Royaume des Cieux. Qui donc se fera petit comme ce petit enfant-là, celui-là est le plus grand dans le Royaume des Cieux » (Mt 18,2-4).
J’entends déjà les récriminations de certains de mes lecteurs : « mais nos décroissants d’aujourd’hui ne parlent pas de la même chose que vous, pour eux, la décroissance est une affaire économique et non pas spirituelle ». Rien n’est moins sûr ou plutôt, il n’est pas si sûr qu’il faille découpler les deux ! D’ailleurs, il me semble difficile de considérer comme un hasard le fait que leur livre de chevet et d’action soit l’encyclique Laudato Si du pape François, où les deux plans sont sans cesse mêlés (cf. § 189s et l’apparition du terme décroissance au § 193) ! Les décroissants sauront se défendre, mon point de vue personnel est de fait que ces plans sont non seulement liés, mais que nous n’obtiendrons jamais de décroissance si nous ne nous plaçons pas d’abord au plan spirituel : ce qui constitue pour moi la difficulté majeure de ce type d’orientation si l’on veut qu’elle se réalise et ne reste pas un vœu pieux.
Mais au fait, est-elle vraiment nécessaire cette décroissance ? Les arguments pour sont multiples, ressassés : sans elle, énergie devenant rare et de plus en plus chère à produire, changement climatique, exploitation des pays les plus pauvres, émigration contrainte, guerres etc. Si ces arguments me semblent convaincants pour moi, ils ne le sont pas pour tous : voir par exemple l’article récent publié sur Contrepoints… Il y faut une « conversion », comme je l’ai dit à plusieurs reprises sur ce blog, par exemple ici où je rejoignais le thème du renoncement, un autre mot pour parler de décroissance. J’ai pour ma part expérimenté la raréfaction des ressources en eau tant en Haïti qu’en Terre Sainte, et je rejoins la réflexion très ancienne de l’un de mes amis, ancien d’une agence française de l’eau : « les guerres d’aujourd’hui sont des guerres de l’eau autant ou plus que du pétrole ».
A un niveau plus personnel et quotidien, je suis surtout obligé de constater que nos besoins humains sont sans cesse plus importants, qu’ils sont le fruit de notre avidité humaine conjuguée à une obsolescence programmée, et qu’ils sont sans cesse stimulés par une imprégnation publicitaire plus que par de réelles nécessités : cf. ce qui se passe avec l’outil smartphone ! Comment ne pas penser à la situation d’Adam et Ève face au fruit du Paradis en Gn 3 ? Et là, tout me dit que « l’on ne peut continuer comme cela », qu’une maîtrise est nécessaire, ne serait-ce que celle de cette avidité : il s’agit bien déjà de décroissance !
Ou plutôt de ses débuts : décroître n’a de sens que si cela se poursuit sous une forme ou sous une autre de partage, ou pour le dire avec un autre mot, de redistribution. Là encore, je retrouve saint Paul : » Il ne s’agit point, pour soulager les autres, de vous réduire à la gêne ; ce qu’il faut, c’est l’égalité. Dans le cas présent, votre superflu pourvoit à leur dénuement, pour que leur superflu pourvoie aussi à votre dénuement. Ainsi se fera l’égalité, selon qu’il est écrit : Celui qui avait beaucoup recueilli n’eut rien de trop, et celui qui avait peu recueilli ne manqua de rien » (2 Co 8,13-15).
Peut-on vraiment croire encore à une croissance infinie ? Pour évoquer les dons de Dieu, aucun doute, il est à l’origine de toute vie, et sa richesse est inépuisable ; pour évoquer les ressources humaines, pas simplement spirituelles mais aussi énergétiques, économiques, naturelles, décidément de gros doutes m’assaillent malgré l’article de Contrepoints cité plus haut : celui-ci postule un malthusianisme chez les décroissants que je ne trouve pas, et il oublie ce que le développement technique qui est à la base du raisonnement peut avoir de mortifère, comme l’a montré Jacques Ellul tout au long de son oeuvre.
Je vais donc continuer non seulement de parler de décroissance, mais aussi inviter à la mettre en oeuvre, autant que faire se peut, chacun à son niveau. Aussitôt que possible.