Comme certains de mes lecteurs le savent, je suis depuis près de trois ans prêtre-référent de l’hôpital psychiatrique La Colombière à Montpellier : prêtre-référent et non pas aumônier, parce que j’exerce mon ministère à titre bénévole, et non comme « employé » de l’hôpital. L’hôpital psychiatrique a ses particularités, mais je ne vais rien en dire ici : je préfère que soient évoqués le rôle d’aumônier et le service d’aumônerie d’un hôpital en général. Et pour avoir entendu le long témoignage de Sabine, qu’il faut lire jusqu’au bout parce qu’il présente très bien les joies, les peines, les incertitudes, les difficultés rencontrées par un aumônier, dans de multiples secteurs : gynécologie, pédiatrie, gériatrie, je me suis donc dit que j’allais, avec son accord, lui laisser la parole. Voici…
Octobre 2015 : De l’aumônerie des jeunes à l’aumônerie de l’hôpital
Une dizaine d’années d’engagement auprès des jeunes, mes propres enfants qui grandissent et dépassent l’âge de l’aumônerie, de jeunes animateurs qui s’engagent… Il était temps pour moi de passer à autre chose.
J’ai rencontré Marie-Agnès (déjà aumônier), un jour, et elle a formulé l’appel qu’au fond de moi, j’attendais déjà : « Ne voudrais-tu pas venir découvrir ce que nous vivons au sein de l’aumônerie de l’hôpital ? »
Aussitôt, j’ai dit oui, et je suis allée voir, observer, me faire une idée.
Le jeudi, pendant quelques semaines, j’ai découvert le temps d’équipe où bénévoles et aumôniers se retrouvent et célèbrent l’eucharistie avant de partager un temps de convivialité. Je quittais l’équipe au moment où chacun partait rejoindre ses services pour le temps de visites auprès des patients. J’aurais bien voulu les suivre, mais ce n’était pas encore le moment et je ressentais en même temps une certaine appréhension, la peur de l’inconnu, et cette question lancinante « Et moi, serai-je capable ? »
Une succession d’appels, un après l’autre
Puis on m’a proposé de devenir stagiaire. J’ai pu alors accompagner un aumônier dans ses visites, une fois par semaine. La mission commençait à se concrétiser, je n’étais pas encore acteur, mais j’observais chaque aumônier que j’accompagnais, nous échangions après les visites, je découvrais déjà l’importance de la relecture.
Je commençais à percevoir, que dans cette mission, nous ne sommes pas seuls, le Seigneur nous précède, c’est Lui qui visite. D’où l’importance d’être connecté en permanence, par la prière. Avant les visites, dans le temps d’équipe, pendant les visites où il est là présent, après les visites dans la relecture.
Après quelques mois de stage, j’ai commencé à visiter seule, comme bénévole. Puis un poste d’aumônier s’est présenté, on me l’a proposé.
Chaque étape est la réponse à un nouvel appel. A chaque appel, un temps de réflexion est nécessaire, c’est le temps du discernement. Est-ce bien là que je dois aller ? Est-ce bien là que le Seigneur m’appelle ? Et le travail en équipe aide aussi à discerner, par le regard des autres.
Novembre 2016 : Pôle Mère enfant
2 services me sont proposés, celui des grossesses à risques, et celui de la chirurgie gynécologique.
Le premier défi que je rencontre est d’apprivoiser le personnel, d’apprendre à le connaître et me faire connaître. Cela fait longtemps qu’il n’y a pas eu de présence d’aumônerie dans ce lieu… il faut du temps. Le personnel change, les équipes tournent…
Nous sommes dans un lieu public, même si l’aumônerie est mentionnée dans les livrets d’accueil, les patientes ne connaissent pas notre existence. Le personnel ne m’introduit que si l’on m’appelle… et on ne m’appelle pas !
Les premiers mois sont difficiles et me posent question :
Comment témoigner d’une présence d’église dans un lieu indifférent voire hostile ?
Puis petit à petit, le chemin se fait, les portes s’ouvrent. Plus rapidement dans le service de chirurgie gynécologique où je rencontre des femmes atteintes parfois de cancer, dans une tranche d’âge qui les rend plus proches de la religion. Certaines souhaitent recevoir la communion, une force dans l’épreuve, ou tout simplement me rencontrer, se confier. Ces premiers accompagnements sont déterminants pour la suite parce que le personnel comprend mieux quelle est ma place dans le service.
Actuellement, je suis accueillie par le personnel soignant et orientée vers les patientes qui souffrent de solitude, qui ont besoin d’être écoutées et réconfortées. La demande religieuse vient ensuite… ou elle ne vient pas.
Notre présence d’aumônier catholique interroge : le personnel soignant, les patients, ceux qui les accompagnent : personne n’y est indifférent. « Ne parle du Christ que si l’on t’interroge, mais vis de telle façon qu’on t’interroge » (François de Sales).
Dans le service des grossesses à risques, l’intégration aura été plus longue, plus difficile. Les patientes sont jeunes, loin de l’église. Dans ce service on est confronté à des problématiques difficiles, tragiques. Des IVG (interruption volontaire de grossesse), des IMG (interruption de grossesse pour raison médicale) qui elles, peuvent intervenir jusqu’à la veille du terme, des morts fœtales. Là encore, il faut la bienveillance du personnel, sa compréhension, sa confiance, pour que je puisse avoir l’autorisation de rencontrer ces femmes, ces couples qui ne m’ont pas appelée et qui pourtant pourront trouver un peu de réconfort si elles se laissent accompagner.
Le Père Bruno Saintôt, jésuite responsable du département Éthique biomédicale du Centre Sèvres, nous disait dans une formation « Dans le tragique, il n’y a rien d’autre à faire que de témoigner de la bonté de Dieu. » La bonté de Dieu, sa tendresse, se manifestent dans l’écoute de ces personnes prisonnières de situations tellement difficiles. Mais c’est un service où on trouve aussi beaucoup de joies. La joie d’accompagner des femmes, semaine après semaine lors d’une hospitalisation qui peut durer des mois, jusqu’à l’heureux aboutissement, la naissance du ou des bébés tant attendus.
Encore une fois, les divers accompagnements que j’ai pu faire ont porté leurs fruits auprès du personnel soignant. Aujourd’hui, on me fait confiance, on m’indique les situations délicates, on m’encourage à rencontrer des personnes en détresse, même si elles ne m’ont pas appelée et on m’autorise même à me présenter auprès de toutes les femmes hospitalisées dans le cas d’une grossesse difficile.
Le chemin parcouru est ÉNORME !
Février 2017, s’ajoutera un service de pédiatrie.
En pédiatrie, les portes sont ouvertes. Grâce à la présence d’une cadre qui connait l’aumônerie et qui en soutient la présence dans son service. Quelqu’un qui a touché du doigt combien l’aumônier peut réconforter, accompagner, soulager dans l’épreuve.
Je rencontre dans ce service des enfants de tous âges, des mamans, et parfois aussi des papas. J’y expérimente l’accompagnement éphémère pour un enfant qui n’est que de passage et qui sera rapidement guéri et prêt à rentrer chez lui, mais aussi l’accompagnement à plus long terme de jeunes patients atteints de pathologies qui les amènent à revenir régulièrement dans le service ou en consultation. Des patients et leurs mamans que je croise dans le couloir, et qui sont toujours heureux lorsque nous échangeons quelques mots, lorsque je prends des nouvelles.
En pédiatrie, je soulage la solitude des mamans qui ont passé la journée dans la chambre de leur enfant, sans s’accorder une seule minute de liberté. Elles sont heureuses que quelqu’un vienne échanger avec elles, même si je perçois dans leur regard, lorsque je me présente, une forte interrogation. Je rencontre aussi des adolescents avec qui le dialogue est parfois plus difficile à mettre en œuvre… Des rencontres toujours inattendues, des confidences qui se font parfois après des mois, sans que l’on sache pourquoi, tout d’un coup quelque chose se débloque.
La pédiatrie est une expérience de longue haleine…
Gériatrie : juin 2017
Je commence à trouver mes marques dans les services que je visite, je suis plus à l’aise. On me parle alors d’une augmentation de mon temps de présence de 30% à 50%… et j’imagine aussitôt que ce temps supplémentaire me permettra d’être plus disponible dans les services que je connais et où je me sens bien…
Mais ce n’est pas là que l’on m’appelle ! Jeanne me demande si je veux bien rejoindre le pôle Gériatrie à l’hôpital Bellevue, en collaboration avec l’équipe parallèle ancrée à Antonin Balmès.
Vient le temps de la réflexion et du discernement… la gériatrie ce n’est pas ce dont j’avais rêvé… c’est vraiment le grand écart entre les bébés à naître et la fin de vie… quelle idée ! Et puis je serai seule là-bas… il n’y a pas d’équipe…
Puis je me dis que si on m’appelle précisément là, c’est parce que c’est un lieu où il y a de la demande, et si on a pensé à moi, c’est que l’on croit que je suis capable de m’adapter au lieu…
« Seigneur, si c’est là que tu m’appelles, c’est là que j’irai. Envoie sur moi ton Esprit pour que j’en sois capable, donne moi ta force. »
L’aumônier qui était là avant moi, m’avait prévenue. La gériatrie c’est riche de belles rencontres et de belles surprises.
Un premier contact avec l’équipe qui organise les célébrations hebdomadaires me permet de rencontrer les animatrices, et les patients qui assistent régulièrement à l’office. Je viens à Bellevue deux fois par semaine, le mercredi pour des visites dans les chambres, le vendredi pour la rencontre communautaire. Les liens se tissent avec des patients qui sont souvent là pour de longues durées, avec les accompagnants qui visitent leurs proches, avec le personnel qui ne travaille pas toujours dans des conditions très faciles.
A Bellevue, les portes sont ouvertes, au sens propre et au sens figuré. Parfois un patient m’interpelle, du fond de son lit. Et lorsque je me présente, la discussion s’engage et il m’est arrivé que l’on me demande aussitôt si je peux apporter la communion.
Il y a des personnes qui ne m’attendent que pour réciter un Notre Père et un Je vous salue Marie, ensuite seulement, je peux discuter un peu avec elles.
Il y a aussi des personnes en soins palliatifs que j’accompagne jusqu’au jour où j’apprends qu’elles sont passées sur l’autre rive.
D’autres pour lesquelles on nous appelle, moi ou l’aumônier de garde quand la fin est proche.
D’autres aussi qui ne communiquent pas, mais dont les proches ont demandé la présence de l’aumônerie, auprès desquelles je vais prier tout simplement.
Bellevue, je croyais que c’était un lieu de mort et j’expérimente de plus en plus que c’est un véritable lieu de vie. Comment ces personnes dépendantes, souffrantes souvent, obligées de vivre en collectivité génèrent autant de solidarité, de fraternité, de tendresse et de joie ? C’est un mystère pour moi, peut-être le mystère de la présence du Christ vivant dans cette humanité fragile.
La gériatrie, je pensais que ce serait triste à mourir,
La gériatrie c’est une énorme bouffée d’oxygène chaque semaine !
Seigneur, tu m’attendais au tournant,
Je suis prête pour les missions que tu voudras encore me confier,
« Me voici ! »
Aujourd’hui
… J’ai écrit ce témoignage il y a un an, il est toujours d’actualité. Au cours de cette année, j’ai eu la grande chance d’accueillir Ewa, nouvelle aumônier sur le site Arnaud de Villeneuve. Nous visitons les mêmes services, en complémentarité, nous échangeons sur les cas les plus difficiles. Parfois nous célébrons un baptême ou une bénédiction ensemble, quelle richesse !
Etre à deux permet d’assurer une présence plus constante dans nos services. Le temps que je prends à Bellevue n’est plus du temps perdu pour Arnaud de Villeneuve, Ewa prend le relais quand je suis en gériatrie !
Petit à petit, nous affinons nos spécificités, je suis plutôt présente dans les services de gynécologie tandis qu’Ewa fait son chemin en pédiatrie. Dans les services plus délicats de réanimation ou de soins intensifs, nous cheminons ensemble, et c’est ensemble que de plus en plus nous nous faisons connaître auprès du personnel soignant.
L’engagement au sein de l’aumônerie de l’hôpital n’a pas fini de me révéler ses surprises et ses richesses ! Chaque jour je rends grâce.
Sabine