La faiblesse et la force

La plupart des chrétiens connaissent le passage de saint Paul évoquant la faiblesse, sa propre faiblesse : « c’est quand je suis faible que je suis fort » (2 Co 12,10). Ils seront donc prêts à reconnaître intimement leur faiblesse, mais sans doute pas à la manifester sous quelque forme que ce soit.

Faiblesse du paralytique

Or, parcourant l’évangile de ce jour, je tombe sur le récit du paralytique guéri par Jésus (Jn 5,1-16), et en particulier sur cette phrase : « « Lève-toi, prends ton brancard, et marche » (v. 8). Mais pourquoi prendre son brancard avec lui ? Était-il si précieux, ou bien fallait-il ne rien laisser traîner d’un objet encombrant ? Une autre interprétation me semble possible, plus spirituelle sans doute : le brancard témoigne pour lui, il est la marque de sa faiblesse et de sa guérison, une marque que Jésus l’encourage à toujours porter sur lui, d’une manière ou d’une autre. Cette marque, loin de le marginaliser au sein de la communauté humaine, va lui permettre de la rejoindre vraiment dans ses membres les plus fragiles, en fait dans tous ses membres, et d’y retrouver le Christ qu’il n’a fait aujourd’hui que croiser.

On dit qu’il ne faut pas porter son cœur en bandoulière, autrement dit garder une certaine pudeur dans l’expression de ses blessures et des sentiments qui en découlent : autrement, on génère des formes de rejets. Certes, l’exhibition n’est pas nécessairement souhaitable, mais il s’agit d’une autre chose ici : d’une simple exposition qui témoigne. Beaucoup parmi nous, qu’ils soient par exemple sur des fauteuils roulants ou qu’ils portent sur leurs visages ou leurs corps des traces d’une trisomie ou de quelque grave blessure, n’ont d’ailleurs pas le choix. Il n’est malheureusement pas rare qu’on le leur fasse sentir, voire qu’on le leur reproche !

La peur me semble souvent à l’origine de tels comportements : pas tant la peur des autres que la peur de soi, la peur de faire face à ses propres blessures, celles que nous portons déjà, celles que nous pourrions porter un jour. La faiblesse du blessé, du pauvre, du marginal, et de tant d’autres, nous renvoie à notre propre faiblesse, aux aléas de notre histoire, aux risques toujours présents et que nous percevons brutalement d’être un jour « comme eux » : alors nous avons bien du mal à faire face à « ces gens », nous jetons un voile, nous nous débarrassons du risque en faisant le cas échéant don d’une pièce, et nous nous éloignons… Et surtout, nous nous efforçons d’oublier !

Pour un chrétien, une telle attitude est regrettable. Parce qu’elle ne correspond pas à la manière dont le Christ nous appelle à vivre, à l’exemple du Samaritain (Lc 10,30-37) ? Oui, sans doute, mais pour une autre raison qu’il me semble très important de rappeler : c’est dans ce contact avec « cet autre que moi » qui me fait peur, et en fait dans ce contact avec mes hantises ou mes blessures, que non seulement je me retrouve moi-même en vérité, mais qu’en outre je rencontre le Christ et peux vivre de nouvelles et vraies rencontres. Accueillir ma faiblesse, y faire face, c’est entrer en communion, en compassion avec le Christ, présent dans « cet autre », mais aussi avec tous les blessés de la vie. Qui serait assez fou pour prétendre qu’il ne saurait se compter parmi eux ?

Oui, vraiment, saint Paul a raison : notre faiblesse constitue notre vraie force, le cœur de notre relation à Dieu et aux autres. Pour autant que nous l’accueillions et acceptions d’en témoigner.

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