La thématique de la loi a toujours été délicate, et je ne suis pas sûr qu’elle le soit aujourd’hui plus qu’hier. Mais il me semble que la loi, quelle qu’elle soit, est plus facilement aujourd’hui qu’hier vue comme une loi qui condamne. Or la Bible a quelque chose à nous dire sur ce sujet de la loi.
Dès le livre de la Genèse au chapitre 3, avec la fameuse tentation d’Adam et Ève par le serpent, c’est déjà d’une loi dont il est question. Au travers de « l’interdit » signifié par Dieu, lequel n’en est pas vraiment un : on oublie souvent que Dieu autorise Adam et Ève à manger de tous les arbres autres que celui de la vie. Je me suis déjà exprimé sur ce sujet, je suis en effet convaincu que « l’interdit » originel visait l’arbre de vie, situé au milieu du jardin (cf. Gn 2,9 et 3,3), et non pas l’arbre de la connaissance du bien et du mal : le don de la vie est en effet une prérogative divine. Et de fait, en bravant « l’interdit », Adam et Ève perdent leur immortalité signifiée par leur présence dans le jardin d’Éden. Dont ils sont finalement et symboliquement expulsés.
Il faut donc le constater et le dire : « l’interdit » divin ne visait pas à condamner, mais à orienter vers la vie, vie reçue et non vie arrachée ou volée. Je viens de le rappeler, Adam et Ève sont autorisés à manger de tous les autres arbres sans aucune limitation ! C’est donc bien le serpent, le Tentateur, qui en a vicié le fondement. Comme il continue subtilement de le faire aujourd’hui à travers toutes les propositions visant à créer un homme nouveau, « augmenté », omnipotent, et surtout maître de la vie et de la mort !
La fameuse loi de Moïse se situe dans la droite ligne de Genèse 3. Il est à mes yeux symbolique et important que, lorsque Dieu s’adresse à l’homme, il mette devant lui la vie et la mort. Il vaut le coup de citer le passage en entier, totalement relatif à la loi et à son sens profond :
« Vois, je te propose aujourd’hui vie et bonheur, mort et malheur. Si tu écoutes les commandements du Seigneur ton Dieu que je te prescris aujourd’hui, et que tu aimes le Seigneur ton Dieu, que tu marches dans ses voies, que tu gardes ses commandements, ses lois et ses coutumes, tu vivras et tu multiplieras, le Seigneur ton Dieu te bénira dans le pays où tu entres pour en prendre possession. Mais si ton cœur se détourne, si tu n’écoutes point et si tu te laisses entraîner à te prosterner devant d’autres dieux et à les servir, je vous déclare aujourd’hui que vous périrez certainement et que vous ne vivrez pas de longs jours sur la terre où vous pénétrerez pour en prendre possession en passant le Jourdain » (Dt 30,15-18).
Et saint Paul, après avoir il est vrai quelque peu erré au sujet de cette loi de Moïse dont il cherchait à comprendre le sens profond après avoir rencontré Jésus sur le chemin de Damas, s’exprime ainsi : « La Loi, elle, est donc sainte, et saint le précepte, et juste et bon » (Rm 7,12). Il avait déjà préparé le terrain dès la rédaction de la lettre aux Galates en assimilant la loi à un « pédagogue » (Ga 3,24-25), autrement dit à ce serviteur qui était chargé de conduire les enfants du maître à l’école, une sorte d’auxiliaire de vie scolaire pour l’époque. Et en concluant en Romains : « la fin de la Loi, c’est le Christ pour la justification de tout croyant » (Rm 10,4), où il faut évidemment entendre « fin » au sens de « finalité ».
Alors, bien sûr, toutes les lois n’ont pas la volonté et le privilège de conduire vers la vie : la plupart des lois, y compris celle de Dieu telle qu’exprimée plus haut dans le Deutéronome, ont une dimension punitive. En outre, comme les dictateurs le savent mieux que personne, eux qui se sont livrés pieds et poings liés au Tentateur, il existe des « lois scélérates », qui visent à exclure, s’approprier, détourner, etc.
Mais lorsqu’il s’agit de la loi de Dieu exprimée dans l’Écriture sainte ou la Tradition, et donc lorsqu’il s’agit de Dieu lui-même, il faut cesser résolument de prendre ce dernier pour un Père fouettard. Et de faire de sa parole une somme d’interdits dont il faudrait se débarrasser au plus vite pour mieux s’affirmer.
La loi de Dieu ne condamne pas, elle est loi d’amour et oriente vers la vie : c’est d’ailleurs à cela qu’on la reconnaît. Comme le disait un frère dominicain aujourd’hui décédé : « Dieu ne nous attend pas au tournant, il le prend avec nous ».