Les « passages-nous »

Tout lecteur des Actes en a fait le constat : à partir du chapitre 16 v. 10, et dans plusieurs chapitres qui suivent, le rédacteur, jusqu’alors habitué à se limiter à la troisième personne du singulier ou du pluriel pour évoquer l’histoire des protagonistes, en particulier leurs pérégrinations (voir par exemple les chapitres 13-14), recourt très soudainement à un « nous ». Mais ce recours n’a rien de systématique, il va et vient. On peut faire la liste de ces passages :

  • 16,10-17
  • 20,4-8 ; 13-15
  • 21,1-18
  • 27,1-29
  • 28,1-16

Les deux derniers passages sont souvent réunis en un seul par les commentateurs, mais Porter[1] a raison de remarquer que l’ensemble 27,30-44 ne possède qu’un seul « nous », au verset 37, qui n’est aucunement significatif.

 

A.   Les textes

 

En voici le contenu :

Les passages-nous
16:10 Aussitôt après cette vision, nous cherchâmes à partir pour la Macédoine, persuadés que Dieu nous appelait à y porter la Bonne Nouvelle. 11 Embarqués à Troas, nous cinglâmes droit sur Samothrace, et le lendemain sur Néapolis, 12 d’où nous gagnâmes Philippes, cité de premier rang de ce district de Macédoine et colonie. Nous passâmes quelques jours dans cette ville, 13 puis, le jour du sabbat, nous nous rendîmes en dehors de la porte, sur les bords de la rivière, où l’on avait l’habitude de faire la prière. Nous étant assis, nous adressâmes la parole aux femmes qui s’étaient réunies. 14 L’une d’elles, nommée Lydie, nous écoutait ; c’était une négociante en pourpre, de la ville de Thyatire ; elle adorait Dieu. Le Seigneur lui ouvrit le cœur, de sorte qu’elle s’attacha aux paroles de Paul. 15 Après avoir été baptisée ainsi que les siens, elle nous fit cette prière :  » Si vous me tenez pour une fidèle du Seigneur, venez demeurer dans ma maison.  » Et elle nous y contraignit. 16 Un jour que nous nous rendions à la prière, nous rencontrâmes une servante qui avait un esprit divinateur ; elle faisait gagner beaucoup d’argent à ses maîtres en rendant des oracles. 17 Elle se mit à nous suivre, Paul et nous, en criant :  » Ces gens-là sont des serviteurs du Dieu Très Haut ; ils vous annoncent la voie du salut. « 
20:4 Il [Paul] avait pour compagnons Sopatros, fils de Pyrrhus, de Bérée ; Aristarque et Secundus, de Thessalonique ; Gaïus, de Dobérès, et Timothée, ainsi que les Asiates Tychique et Trophime. 5 Ceux-ci prirent les devants et nous attendirent à Troas. 6 Nous-mêmes, nous quittâmes Philippes par mer après les jours des Azymes et, au bout de cinq jours, les rejoignîmes à Troas, où nous passâmes sept jours. 7 Le premier jour de la semaine, nous étions réunis pour rompre le pain ; Paul, qui devait partir le lendemain, s’entretenait avec eux. Il prolongea son discours jusqu’au milieu de la nuit. 8 Il y avait bon nombre de lampes dans la chambre haute où nous étions réunis.
20:13 Pour nous, prenant les devants par mer, nous fîmes voile vers Assos, où nous devions prendre Paul : ainsi en avait-il disposé. Lui-même viendrait par la route. 14 Lorsqu’il nous eut rejoints à Assos, nous le prîmes à bord et gagnâmes Mitylène. 15 De là, nous repartîmes le lendemain et parvînmes devant Chio. Le jour suivant, nous touchions à Samos, et, après nous être arrêtés à Trogyllion, nous arrivions le jour d’après à Milet.
21:1 Lorsque, nous étant arrachés à eux, nous eûmes gagné le large, nous cinglâmes droit sur Cos ; le lendemain nous atteignîmes Rhodes, et de là Patara. 2 Ayant trouvé un navire en partance pour la Phénicie, nous y montâmes et partîmes. 3 Arrivés en vue de Chypre, nous la laissâmes à gauche pour voguer vers la Syrie, et nous abordâmes à Tyr, car c’est là que le bateau devait décharger sa cargaison. 4 Ayant découvert les disciples, nous restâmes là sept jours. Poussés par l’Esprit, ils disaient à Paul de ne pas monter à Jérusalem. 5 Mais, notre séjour achevé, nous partîmes. Nous marchions, escortés de tous, y compris femmes et enfants. Hors de la ville, nous nous mîmes à genoux sur la grève pour prier. 6 Puis, ayant fait nos adieux, nous montâmes sur le navire. Ces gens s’en retournèrent alors chez eux. 7 Et nous, achevant la traversée, nous nous rendîmes de Tyr à Ptolémaïs. Après avoir salué les frères et être restés un jour avec eux, 8 nous repartîmes le lendemain pour gagner Césarée. Descendus chez Philippe l’évangéliste, qui était un des Sept, nous demeurâmes chez lui. 9 Il avait quatre filles vierges qui prophétisaient. 10 Comme nous passions là plusieurs jours, un prophète du nom d’Agabus descendit de Judée. 11 Il vint nous trouver et, prenant la ceinture de Paul, il s’en lia les pieds et les mains en disant :  » Voici ce que dit l’Esprit Saint : L’homme auquel appartient cette ceinture, les Juifs le lieront comme ceci à Jérusalem, et ils le livreront aux mains des païens.  » 12 À ces paroles, nous nous mîmes, avec ceux de l’endroit, à supplier Paul de ne pas monter à Jérusalem. 13 Alors il répondit :  » Qu’avez-vous à pleurer et à me briser le cœur ? Je suis prêt, moi, non seulement à me laisser lier, mais encore à mourir à Jérusalem pour le nom du Seigneur Jésus.  » 14 Comme il n’y avait pas moyen de le persuader, nous cessâmes nos instances, disant :  » Que la volonté du Seigneur se fasse !  » 15 Après ces quelques jours, ayant achevé nos préparatifs, nous montâmes à Jérusalem. 16 Des disciples de Césarée nous accompagnèrent et nous menèrent loger chez un certain Mnason, de Chypre, disciple des premiers jours. 17 À notre arrivée à Jérusalem, les frères nous reçurent avec joie. 18 Le jour suivant, Paul se rendit avec nous chez Jacques, où tous les anciens se réunirent.
27:1 Quand notre embarquement pour l’Italie eut été décidé, on remit Paul et quelques autres prisonniers à un centurion de la cohorte Augusta, nommé Julius. 2 Nous montâmes à bord d’un vaisseau d’Adramyttium qui allait partir pour les côtes d’Asie, et nous prîmes la mer. Il y avait avec nous Aristarque, un Macédonien de Thessalonique. 3 Le lendemain, nous touchâmes à Sidon. Julius fit preuve d’humanité à l’égard de Paul en lui permettant d’aller trouver ses amis et de recevoir leurs bons offices. 4 Partis de là, nous longeâmes la côte de Chypre, parce que les vents étaient contraires. 5 Traversant ensuite les mers de Cilicie et de Pamphylie, nous arrivâmes au bout de quinze jours à Myre en Lycie. 6 Là, le centurion trouva un navire alexandrin en partance pour l’Italie et nous fit monter à bord. 7 Pendant plusieurs jours la navigation fut lente, et nous arrivâmes à grand-peine à la hauteur de Cnide. Le vent ne nous permit pas d’aborder, nous longeâmes alors la Crète vers le cap Salmoné, 8 et après l’avoir côtoyée péniblement, nous arrivâmes à un endroit appelé Bons-Ports, près duquel se trouve la ville de Lasaïa. 9 Il s’était écoulé pas mal de temps, et la navigation était désormais périlleuse, car même le Jeûne était déjà passé. Paul les en avertissait : 10  » Mes amis, leur disait-il, je vois que la navigation n’ira pas sans péril et sans grave dommage non seulement pour la cargaison et le navire, mais même pour nos personnes.  » 11 Le centurion se fiait au capitaine et à l’armateur plutôt qu’aux dires de Paul ; 12 le port se prêtait d’ailleurs mal à l’hivernage. La plupart furent donc d’avis de partir et de gagner, si possible, pour y passer l’hiver, Phénix, un port de Crète tourné vers le sud-ouest et le nord-ouest. 13 Un léger vent du sud s’étant levé, ils se crurent en mesure d’exécuter leur projet. Ils levèrent l’ancre et se mirent à côtoyer de près la Crète. 14 Mais bientôt, venant de l’île, se déchaîna un vent d’ouragan nommé Euraquilon. 15 Le navire fut entraîné et ne put tenir tête au vent ; nous nous abandonnâmes donc à la dérive. 16 Filant sous une petite île appelée Cauda, nous réussîmes à grand-peine à nous rendre maîtres de la chaloupe. 17 Après l’avoir hissée, on fit usage des engins de secours : on ceintura le navire ; puis, par crainte d’aller échouer sur la Syrte, on laissa glisser l’ancre flottante. On allait ainsi à la dérive. 18 Le lendemain, comme nous étions furieusement battus de la tempête, on se mit à délester le navire 19 et, le troisième jour, de leurs propres mains, les matelots jetèrent les agrès à la mer.
28:1 Une fois sauvés, nous apprîmes que l’île s’appelait Malte. 2 Les indigènes nous traitèrent avec une humanité peu banale. Ils nous accueillirent tous auprès d’un grand feu qu’ils avaient allumé à cause de la pluie qui était survenue et du froid. 3 Comme Paul ramassait une brassée de bois sec et la jetait dans le feu, une vipère, que la chaleur en fit sortir, s’accrocha à sa main. 4 Quand les indigènes virent la bête suspendue à sa main, ils se dirent entre eux :  » Pour sûr, c’est un assassin que cet homme : il vient d’échapper à la mer, et la vengeance divine ne lui permet pas de vivre.  » 5 Mais lui secoua la bête dans le feu et n’en ressentit aucun mal. 6 Ils s’attendaient à le voir enfler ou tomber raide mort. Après avoir attendu longtemps, voyant qu’il ne lui arrivait rien d’anormal, ils changèrent d’avis et se mirent à dire que c’était un dieu. 7 Il y avait à proximité de cet endroit un domaine appartenant au Premier de l’île, nommé Publius. Celui-ci nous reçut et nous hébergea complaisamment pendant trois jours. 8 Justement le père de Publius, en proie aux fièvres et à la dysenterie, était alité. Paul alla le voir, pria, lui imposa les mains et le guérit. 9 Sur quoi, les autres malades de l’île vinrent aussi le trouver et furent guéris. 10 Aussi nous comblèrent-ils de toutes sortes de prévenances et, à notre départ, nous pourvurent-ils du nécessaire. 11 Au bout de trois mois, nous prîmes la mer sur un navire qui avait hiverné dans l’île ; c’était un bateau alexandrin, à l’enseigne des Dioscures. 12 Nous abordâmes à Syracuse et y demeurâmes trois jours. 13 De là, en longeant la côte, nous allâmes à Rhegium. Le jour suivant, le vent du Sud se leva, et nous parvenions le surlendemain à Puteoli. 14 Y trouvant des frères, nous eûmes la consolation de rester sept jours avec eux. Et c’est ainsi que nous arrivâmes à Rome. 15 Les frères de cette ville, informés de notre arrivée, vinrent à notre rencontre jusqu’au Forum d’Appius et aux Trois-Tavernes. En les voyant, Paul rendit grâces à Dieu et reprit courage. 16 Quand nous fûmes entrés dans Rome, on permit à Paul de loger en son particulier avec le soldat qui le gardait.

 

La lecture traditionnelle voit dans ces passages un recours à une source dans laquelle l’auteur lui-même est impliqué, et justifie ainsi le caractère très précis, voire détaillé, des informations transmises : cette position d’évidence ne devrait pas poser de questions supplémentaires. Et pourtant, ces passages ne cessent de faire débat : certains commentateurs s’étonnent que le « nous » reste constamment anonyme, ou que les « nous » apparaissent ou disparaissent sans crier « gare » ; d’autres veulent donc y voir un simple procédé littéraire, qui aurait de nombreux parallèles dans les écrits de ce temps, et qui ne garantirait donc en rien la valeur historique des faits rapportés. En fait, voilà le fond du problème : ces « passages-nous » viennent-ils contribuer à renforcer le caractère historique des Actes, ou sont-ils neutres à ce sujet ?

Comme on peut l’imaginer, et comme on va le voir rapidement, les divisions classiques vont se retrouver. A mes yeux pourtant, la question n’est pas là : elle est plutôt d’expliquer la discontinuité apparente de nos passages, la possibilité de reconnaître une source et d’en définir l’origine.

 

B.   Les objections à l’interprétation classique

 

En 1978, et même si elle n’est pas la première, l’étude de Robbins[2] pose un jalon dans l’histoire de l’interprétation de ces « passages-nous ».  Robbins remarque en effet que ces « passages-nous » interviennent dès lors qu’un voyage par mer détaillé (ce qui n’est pas le cas dans les chapitres 13-14) se présente. Et notre auteur d’affirmer qu’il s’agit là d’une caractéristique de ce genre littéraire. On lit sous sa plume : « L’auteur de Luc-Actes emploie le genre du voyage par mer avec une grande habileté »[3]. Et plus loin : « L’auteur a employé une narration à la première personne du pluriel pour les voyages par mer, parce qu’il s’agissait d’un style générique conventionnel dans la littérature hellénistique. Ce style contribue directement au schéma voulu par l’auteur, celui d’une participation à l’histoire par la narration de ses épisodes dramatiques »[4]. On comprendra facilement du coup que, pour Robbins, ces récits ne nous disent rien de la participation réelle de Luc à ces voyages.

Je ne vais pas reprendre le détail de la démonstration, qui va consister en fait à accumuler des parallèles pour que soit d’abord bien établi la présence d’un genre, et déterminé ensuite ses caractéristiques. Et c’est évidemment sur ces points que l’auteur va être pris à parti, par exemple par P. Kirby[5] ou C. Price[6] : tous deux montrent que les nombreux exemples avancés par Robbins sont très différents de ce que propose l’auteur des Actes, et ne sont donc en rien constitutifs d’un genre.

 

C.   Les réponses de Porter et Witherington

 

S. E. Porter a répondu lui aussi de son côté, dans le même sens que les deux auteurs déjà cités. Il écrit : « Il n’existe aucune explication littéraire adéquate en plaçant les Actes dans la catégorie de l’ancienne romance ou de la nouvelle, ou en considérant les passages-nous comme dérivés d’une convention littéraire préétablie relative aux voyages par mer, ou en proposant une création rédactionnelle à la première personne du pluriel »[7].

Notre auteur fait en outre les remarques suivantes :

Chaque passage-nous s’intègre parfaitement dans son contexte ; chacun commence au milieu d’un événement se situant dans un endroit précis ; chacun s’achève là où le suivant commence ; chacun, à quelque moment, distingue Paul de l’ensemble du groupe. D’emblée donc, on soupçonne l’existence d’une source.

Par ailleurs, le caractère soudain de l’apparition comme de la disparition des passages-nous semble écarter la possibilité d’assigner cette source à l’auteur lui-même.

Pour sa part, Witherington consacre un long excursus[8] à cette question des passages-nous. Il me semble inutile de reprendre les points sur lesquels il est d’accord avec Kirby ou Porter, et qui concernent en particulier l’inexistence d’un genre, ou d’une convention littéraire, mais intéressant de considérer pourquoi il est enclin, à la différence de Porter, à revenir à la solution classique d’un « nous » incluant Luc. Pour ce faire, il s’appuie en fait sur une remarque de Praeder[9] dont il tire le meilleur parti :

« Praeder écrit : « Les solutions utilisant la critique des sources impliquent un ensemble invraisemblable de circonstances relatives à la composition. Luc aurait donc été intéressé à retenir une narration à la première personne d’une ou plus des sources utilisées, mais inintéressé à identifier les témoins visuels, et, en outre, à veiller à ce qu’aucun des compagnons nommés dans la narration ne se confonde avec le narrateur à la première personne ». Praeder a raison. Une lecture attentive des passages-nous montre que l’auteur peut être distingué de Silas et Timothée, ainsi que des autres candidats présents dans la narration, parce qu’il est question d’eux dans ces mêmes passages à la troisième personne. On peut aussi demander quelle est cette source qui rapporte des informations aussi maigres du deuxième voyage, mais beaucoup plus du troisième, ou bien encore pourquoi Luc n’a pas présenté les maigres informations du deuxième voyage dans une narration à la troisième personne »[10].

La remarque de Praeder, et les commentaires qu’en fait Witherington semblent parfaitement justifiés. Plus sujettes à caution en revanche apparaissent les propositions qui suivent chez Witherington et qui visent à expliquer la différence de « volume » entre les deuxième et troisième voyages : notre commentateur revient en effet à l’idée selon laquelle Luc est un médecin, mais il ajoute médecin « itinérant », qui n’aurait donc été le compagnon attitré de Paul qu’au cours du troisième voyage, et son compagnon occasionnel au cours du deuxième… Peut-être, mais c’est tirer beaucoup de peu !

 

D.   L’exemple du dernier voyage

 

Les passages-nous s’étendent sur le quatrième voyage, celui qui n’a rien de missionnaire, mais évoque le transfert de l’apôtre Paul à Rome. Le récit frappe n’importe quel lecteur par son caractère très circonstancié, et il vient de faire l’objet d’une étude très soigneuse par Chantal Reynier[11].

L’auteur ne se prononce pas sur la signification du « nous », mais en revanche proclame fortement qu’il ne peut s’agir d’un récit inventé ou de seconde main. Voici un long extrait du chapitre de conclusion :

« Si l’auteur de Ac 27 – 28, 16 semble proche dans son écriture d’un Néarque ou d’un Arriën, c’est qu’il relate un vrai voyage. On ne peut nier que ce texte, en raison même de la terminologie utilisée et du style choisi, exprime une véritable expérience de la mer. Nous avons vu qu’il est impossible de discréditer cet aspect du texte comme le font certains exégètes qui refusent que ce récit soit un récit de souvenirs d’un ou de plusieurs compagnons de Paul. Que celui qui raconte le voyage en employant le ‘nous’ inclue le narrateur, un ou des compagnons de Paul, ou représente un groupe attaché à la tradition paulinienne, ce ‘nous’ a une portée réelle. Ce ‘nous’ dit des choses que nous ignorerions s’il ne les disait pas. À l’évidence, ce ‘nous’ a le sens marin. Ce qu’il relève n’est pas sans évoquer les relations actuelles que font les navigateurs, comme s’il constituait une sorte de journal de bord avant l’heure, ou encore une sorte de compte rendu comme, déjà dans l’Antiquité, on en faisait devant l’assemblée ou les tribunaux. Si la pertinence des manœuvres dont il témoigne ne peut échapper à quiconque a une connaissance maritime authentique, ce récit ne peut être l’œuvre que de quelqu’un qui possède cette compétence nautique acquise par l’expérience. L’expérience maritime est donc trop présente pour devoir être éliminée ou réduite à la seule réminiscence littéraire et au seul plan symbolique. Il est évident que la terminologie maritime est omniprésente dans ce texte et qu’elle est employée de façon adéquate. Si l’expression de la langue et la construction du récit sont du Iersiècle, elles ne peuvent être réduites pour autant à une connaissance livresque ou à la copie d’un récit existant. C’est donc moins au niveau des textes qui ont pu l’inspirer qu’il faut regarder, qu’au niveau empirique de la relation qui est faite d’un voyage singulier, celui du transfert de Paul à Rome. En effet, si un tel voyage n’avait pas eu lieu, il n’y aurait pas de récit. Ce n’est pas le récit qui met en scène un voyage imaginaire comme le font les romans. C’est bien la réalité du voyage de Paul, de Césarée à Rome, par voie de mer qui donne lieu à cette relation. Si elle est consignée de cette manière, c’est bien que dans l’entourage de Paul, il y avait des personnes compétentes en matière maritime. Le fait que nous ne sachions pas qui a écrit ou comment cela a été écrit n’invalide pas l’expérience authentique dont ce récit rend compte »[12].

 


[1] Stanley E Porter, “The ‘We’ Passages,” dans The Book of Acts in Its First Century Settings, éd. W. J. Gill David /Gempf Conrad, vol. 2 (PaterNoster Press, 1994), 545-574.

[2] Vernon K Robbins, “By Land and By Sea : The We-Passages and Ancient Sea Voyages,” dans Perspectives on Luke-Acts, éd. Charles H Talbert, vol. 5 (Macon, Ga / Edimbourg: T & T Clark, 1978), 215-242

[3] art. cit. p. 216.

[4] art. cit. p. 216-217.

[5] P. Kirby, First Person Perspective in Ancient Sea Travel, 2003. Disponible sur http://christianorigins.com/bylandbysea.html

[6] C. Price, The « We Passages » of Acts as a Literary Device for Sea Travel ? A Critique of Vernon Robbins, actuellement disponible sur http://www.christiancadre.org/member_contrib/cp_wepassages.html. On verra à la fin de cet article que l’auteur a pu débattre en ligne avec Robbins, sans que cela ait pu changer ses convictions.

[7] art. cit. p. 561.

[8] op. cit. p. 480-486.

[9] S. M Praeder, “The Problem of First Person Narration in Acts,” NovT 29 (1987) : 193-218.

[10] op. cit. p. 484.

[11] Chantal Reynier, Paul de Tarse en Méditerranée (Paris : Cerf, 2006).

[12]op. cit. p. 190.

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