A propos de 1 S 16, 1b.6-7.10-13a et Jn 9,1-41.
Mes frères, chers amis en ligne, si vous m’aviez demandé encore hier comment nommer cet évangile, je vous aurais répondu très banalement : « l’évangile de l’aveugle-né ». Après tout, c’est bien l’histoire d’un aveugle qui recouvre la vue grâce à Jésus, et elle nous est lue pendant le temps du Carême afin qu’à notre tour nous ouvrions les yeux sur la réalité de la Passion et de la Résurrection. Et finalement sur la vie.
C’est vrai, tout le vocabulaire relatif à la vision est bien là, mais il n’est pas le seul. Tenez, écoutez bien les versets que je vais vous relire : « Pour la seconde fois, les pharisiens convoquèrent l’homme qui avait été aveugle, et ils lui dirent : « Rends gloire à Dieu ! Nous savons, nous, que cet homme est un pécheur. »
Il répondit : « Est-ce un pécheur ? Je n’en sais rien. Mais il y a une chose que je sais : j’étais aveugle, et à présent je vois. »
Avez-vous remarqué, dans ce passage, comme dans tout l’évangile de ce jour en fait, l’omniprésence de la thématique du savoir ? Une thématique que le prophète Samuel illustre à sa manière dans la première lecture : car Samuel semble savoir d’avance qui Dieu va choisir parmi les fils de Jessé. Echec ! Samuel ne voit que lorsqu’il cesse de savoir.
En tant que frère prêcheur, je ne viens pas vous vanter l’ignorance, mais la conscience de la fragilité de notre savoir. Oui, gare au savoir limité et préconçu, au savoir fermé sur lui-même qui empêche de voir et de comprendre la nouveauté. Voici les disciples qui croient savoir d’où provient l’aveuglement de l’homme devant eux, du péché de ses parents ou de son propre péché ; voici les voisins qui savent et ne reconnaissent pas l’aveugle dans celui qu’on leur présente ; voici les pharisiens qui savent que Jésus est un pécheur parce qu’il ne respecte pas le sabbat ; et voici enfin qui les parents ne veulent pas savoir, sinon qu’il s’agit bien de leur fils. Constatez-le, tous savent, ou prétendent ne pas savoir ce qu’ils savent, et ne voient rien !
Mes frères, chers amis, le savoir, de quelque nature qu’il soit, est une force : il nous forme, il nous guide, il fait grandir notre humanité comme notre vie spirituelle, il nous protège de certaines impasses. Mais dans son orgueil, il peut être aussi un mur pour celui qui croit trop facilement savoir, et a fortiori tout savoir : ce savoir qui ne laisse pas de place à la lumière et à la nouveauté, en particulier celles qu’offre Jésus, empêche de voir.
Dans ce temps de confinement, que nous ne sachions pas vraiment comment va évoluer ce virus, que nous ne sachions pas vraiment ce qui nous attend, me semble une chance : elle nous donne l’occasion de « voir » les choses, les gens, notre monde autrement. En particulier notre avenir que l’on devrait voir et redessiner à la lumière de la mort et de la résurrection de Jésus. Oh ! je ne me fais pas trop d’illusions, les mêmes ornières nous attendent, mais, forts de la lumière apportée par l’expérience pascale et de celle acquise dans ce temps de confinement, j’espère que nous en éviterons quelques-unes, plus dangereuses que d’autres.