La question du rapport entre nature et culture, de la définition et de la délimitation de chacune, n’est pas neuve, mais elle prend des vêtements variés. La théologie chrétienne en fait une dimension essentielle en se fondant sur l’existence d’un droit naturel. Elle s’en prévaut par exemple dans les débats sur le genre, et tout autant sinon plus dans toutes les questions relatives à la bioéthique.
Je constate que la question est revenu, sous un nouvel habit, dans les critères du confinement : on parle en effet de commerce « essentiel » ou « non essentiel ». Essentiel, donc fondamental, ou non. Et, comme tant d’autres en ce moment, je m’interroge et m’étonne lorsque notre gouvernement place les lieux culturels, tels les cinémas, les théâtres, les librairies, et « bien sûr » les besoins spirituels ou cultuels (1) telle la messe, comme « non essentiels » : et donc pour la plupart fermés !
Notre nature humaine se trouve ainsi réduite, qu’on le dise ou non, qu’on le veuille ou non, à des pulsions primaires, essentielles, comme l’alimentaire ou l’économique (2). Là, et là seulement, se trouveraient les racines de notre santé. Je note que certaines réactions se gaussent ou se rebellent face à ce « boulot, métro, dodo » et je ne peux, de mon point de vue, leur donner tort.
Je sais que l’on dira qu’il s’agit d’un moment, que tout cela va passer, mais la distinction entre l’essentiel et le non essentiel, osons le mot du superflu, n’a rien de neutre et caractérise une société. Récemment, je ne sais plus trop sur quel fil, je lisais la chose suivante : dans un camp de réfugiés où l’alimentaire est réduit pourtant au minimum, une personne apportant nourriture et jouets a vu les enfants se précipiter sur les jouets et non sur la nourriture… La référence vaut ce qu’elle vaut, elle est peut-être ponctuelle en fonction de certaines circonstances et non généralisable, mais elle m’a frappé.
La nature est habituellement considérée comme un donné, la culture comme un acquis : autant je crois important de reconnaître la nature et de lui donner toute sa place là où elle est négligée, en particulier dans le domaine bioéthique, autant je trouve dommage de ne pas le faire aussi pour la culture, même dans les situations de crise. Messes, librairies, théâtres, cinémas, musées… ou santé, même combat !
(1) Je suis loin de penser en fait que le spirituel/cultuel soit seulement de l’ordre de l’acquis et donc du « culturel » : je le range plutôt du côté de l’inné et donc du « naturel ».
(2) Le lecteur notera au fil de ce billet la contradiction qui existe chez beaucoup de ceux qui nous gouvernent entre le fait de nier la nature dans nombre de questions bioéthiques, et la reconnaître dès lors qu’ils postulent un « essentiel » face à un « non essentiel ».