Frères et sœurs, il y a quelques jours, à propos de l’évangile du semeur et des différents terrains sur lesquels il sème, je vous disais, au prix d’une interprétation détournée de la parabole, qu’il existait un terrain sur lequel il était possible de semer avec un succès assuré, c’était Jésus lui-même qui produit cent pour un ! Les lectures de ce jour, orientées sur le thème de la prière et de l’intercession, vont pleinement dans le même sens.
Ce n’est pourtant pas, il faut l’avouer, ce que nous constatons facilement : il nous semble plutôt que nos prières d’intercession vont se perdre dans les sables, et que nous n’obtenons rien. En d’autres termes, Abraham a eu lui bien de la chance d’être pareillement entendu ! Face à ce constat, les prédicateurs ont l’habitude de répondre que nos demandes ont été mal formulées, insuffisamment guidées par l’amour, ou encore que le résultat est là, mais sous une forme que nous n’attendions pas et que nous ne savons pas du coup reconnaître.
La réponse est juste, mais un peu courte, cat il faut aussi admettre que nombre de nos prières restent sans réponse divine, au moins apparemment. Ce qui provoque bien des frustrations, voire un découragement qui conduit à dire : d’accord pour la prière de louange, mais laissons tomber la prière d’intercession. Alors même qu’elle tient une place essentielle comme le soulignent nos lectures et comme nous allons le manifester à nouveau dans notre liturgie. Que faut-il donc ajouter à la réponse ?
« Rien n’est simple », si je peux me permettre de reprendre le titre d’un ouvrage du dessinateur Sempé. Je vais quand même ajouter trois éléments complémentaires. En premier lieu, comme cela nous est rappelé dans notre évangile, et dans d’autres tel celui de la veuve se présentant auprès d’un juge inique, l’insistance ou la répétition sont de mise : elles sont le signe de l’importance de la demande. Une demande qui ne résiste pas au temps ne trouve pas sa place dans le cœur de Dieu.
Le deuxième élément de réponse, dans la ligne de celui que je viens d’évoquer, est une invitation à respecter le temps : nous vivons dans le monde de l’urgence, et nous l’oublions. Or nous devrions sans cesse nous souvenir que les réponses apportées dans l’urgence ne sont pas toujours les plus appropriées. Oui, le temps de Dieu n’est pas exactement le nôtre, même s’il le rejoint.
Et le troisième élément de réponse, que nous oublions souvent, consiste en une invitation à jouer autant que c’est possible notre partition dans la réponse que nous attendons de Dieu seul. Cela semble difficile, et telle est bien la raison pour laquelle nous nous tournons vers Dieu : et il est vrai, pour prendre un exemple flagrant et pour lequel je prie souvent actuellement sans résultat, que je ne vois pas trop ce que je peux faire pour que la guerre en Ukraine s’arrête non sans une vraie justice ! Mais je me dis que si, à mon petit niveau, je travaille à apporter un peu plus de paix autour de moi, je contribue sans doute à ce qu’elle grandisse dans le monde et finisse par s’imposer.
Pourtant, après vous avoir dit tout cela, je vous l’avoue, la prière d’intercession garde une grande part de son mystère. Mais je continue, avec toute l’Eglise, de la proposer et de la vivre : parce qu’elle est inscrite dans le cœur de tout chrétien par l’Esprit qu’il porte en lui. Elle est en effet une forme spontanée de compassion, et se trouve donc au cœur de toute amitié, de celle que je peux avoir pour mes frères, aussi bien que pour Jésus et son Père.