Passons sur l’autre rive

Curé de la paroisse Notre-Dame d’Alet à Sant-Malo, Hervé Huet a publié début janvier un commentaire fort équilibré et sobre sur la question des unions dites irrégulières, et en particulier homosexuelles, remise à l’ordre du jour par le document Fiducia Supplicans publié au Vatican. Il m’a permis de le reproduire et je l’en remercie.

Depuis la publication de la déclaration Fiducia supplicans sur la signification pastorale des bénédictions par le dicastère pour la doctrine de la foi le 18 décembre dernier, l’on entend ici et là, et à tous les « étages » de notre Église catholique, des voix s’élever contre ce texte approuvé et signé par le Pape François. Si j’écris ces quelques mots, c’est parce que je ressens le besoin de mettre par écrit le questionnement – pour ne pas dire le désarroi – qui habite mon cœur de pasteur actuellement.

J’entends les critiques théologiques et pastorales qui s’expriment face à ce texte, et elles ont certainement leur part de légitimité. Mais mesure-t-on l’impact que nos querelles internes, ultra médiatisées par les réseaux sociaux, ont sur l’image de l’Église que nous donnons à voir au monde entier ? Image déjà bien écornée par les diverses affaires liées aux abus en tous genres et qui, ici, se dégrade encore un peu plus.

Ce qui me fait le plus mal dans cette « affaire », c’est de donner le sentiment que notre Église est plus préoccupée par sa propre survie que par le salut du monde. Je le trouve courageux ce Pape, habité, voire tourmenté, par une seule obsession : sauver tous les hommes, y compris ceux qui sont dits en « situation irrégulière », qu’ils soient dans ou hors de nos communautés. Que propose-t-il finalement sinon leur offrir une bénédiction de Dieu, non pas au sens d’une validation de leur situation conjugale, mais au sens du soutien spirituel, si important pour pouvoir avancer sur le chemin de la foi, surtout quand la route est cabossée. On s’offusque en particulier parce que cette bénédiction est proposée pour le couple et non seulement pour chaque personne. Mais n’est-ce pas précisément le couple en tant que tel, dans la relation vécue concrètement chaque jour, qui a besoin d’être aidé, éclairé, inspiré par Dieu ?

Pour certains couples, divorcés remariés ou de même sexe, cela fait des années qu’ils cheminent ensemble, souvent avec des enfants. Toute cette vie commune n’aurait donc aucune valeur aux yeux de Dieu, du fait même que leur situation serait irrégulière ? Comment d’ailleurs peut-on encore parler de « situation irrégulière » tant cela laisse penser qu’il y a ceux qui sont du bon côté – et en général c’est toujours nous – et les autres ?

Ouvrons les yeux, les amis : nous sommes tous du mauvais côté, nous sommes tous en situation irrégulière ! Tous … sauf un, le Christ. Lui seul est du bon côté et il invite chacun, pauvre pécheur, à passer de l’autre côté, par pure grâce, dans le Royaume.

L'autre rive

C’est pourquoi l’Église aurait tout à gagner à changer de rive dans sa communication. Non pas la rive du « moral » qui laisse penser qu’une vie exemplaire – souvent jugée au seul prisme de la sexualité – serait la condition préalable et indispensable pour entrer dans le Royaume de Dieu alors qu’elle en est le fruit, la conséquence, la transfiguration. Mais plutôt la rive du « théologal » où l’on met en lumière l’image d’un Dieu qui, tel le père du fils prodigue, nous attend tous, sans exception, les bras ouverts, avec une seule question qu’il murmure à chacun de nous : « veux-tu rentrer à la maison ? ». Y a-t-il plus grand bonheur que de goûter soi-même à la gratuité d’un salut offert sans mérite de sa part et au cœur même de sa propre misère ?

C’est en tout cas l’expérience que je fais chaque jour et qui ne cesse de m’émerveiller. Expérience qui ne peut que faire grandir en moi le désir d’annoncer à tous la vraie Bonne Nouvelle : oui, la vie éternelle est à la portée de chacun depuis ce jour où, il y a plus de 2000 ans, un certain Jésus de Nazareth est mort et ressuscité pour le salut du monde entier.

Ne soyons pas comme le frère aîné qui, jugeant son cadet, trouve insupportable qu’il soit accueilli par son père. N’entendez-vous pas tous ces frères et sœurs en humanité qui, au sein même de nos communautés et surtout en dehors, sont en attente d’une oreille qui les écoute, d’une main qui les accueille, d’un cœur qui les aime sans les juger, parce qu’au fond d’eux il y a le même désir, la même soif, la même joie que celle qui nous a fait nous-mêmes nous mettre en route ? « Ce jour-là, le soir venu, Jésus dit à ses disciples : passons sur l’autre rive » (Mc 4,35). Et si c’était le moment favorable ?

Père Hervé Huet, 9 janvier 2024

Une réponse à “Passons sur l’autre rive”

  1. Merci beaucoup pour ces paroles réconfortantes. J’aime mon Eglise et pourtant elle me et nous fait souffrir par ses positions d’ordre morale qui divisent au lieu de rassembler.
    de Maurice Zundel  » il n’y a pas de morale chrétienne. Il y a une mystique chrétienne ».

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