Frères et sœurs, nous appartenons à une civilisation que l’on qualifie de numérique. Je ne sais pas exactement comment l’entendre, mais je constate que l’on compte tout et que l’on espère ainsi rendre raison de tout. Faut-il penser que l’auteur du livre des Rois dans la première lecture ou Jean dans son évangile se soient livrés à de tels comptes pour faire des évaluations précises des personnes présentes et pour compter le pain de reste ?
Il est difficile de le croire ! Lorsque l’on remarque que les chiffres avancés sont cent, cinq, sept, douze, j’ai quelques doutes. Ce sont des chiffres symboliques. Certes, je ne doute pas un seul moment que les auteurs de nos récits rapportent des « multiplications » remarquables, en particulier celle du pain, et qu’il sera toujours difficile de qualifier autrement que par les mots « miracle » ou « « signe » chez saint Jean.
Mais je suis convaincu que l’intention de nos auteurs est fondamentalement autre : il s’agit de manifester le don sans limites de Dieu. L’importance donnée au fait qu’il y a des restes, douze paniers précise saint Jean, en est le témoignage. Il s’agit bien de pain. Mais est-ce là une nourriture qui se garde, surtout en grande quantité et sous un soleil de plomb ? Souvenez-vous, la manne donnée au désert devait être consommée dans la journée.
Il me semble donc que le pain a lui aussi une valeur symbolique. Il représente deux réalités : le corps de Jésus et sa parole. Pour la première, nous en avons l’illustration plus loin dans le chapitre dont nous avons lu un extrait : « Le pain que je donnerai, c’est ma chair pour la vie du monde » (Jean 6,51). Pour la parole, je rappelle que dimanche dernier, nous lisions chez saint Marc que Jésus « enseigna longuement » la foule qui lui faisait face, alors qu’il était question de manger et que ce devait être l’heure du repas.
Frères et sœurs, le corps et la parole de Jésus ont cette force et cet avantage de pouvoir laisser des restes qui ne se gâtent pas, quels que soient les régions et les climats. Bien plus, ils s’augmentent au fil du temps. D’ailleurs, ne le disons-nous pas nous-mêmes pour certains orateurs que leur parole est nourrissante ? Comme je voudrais qu’il en soit ainsi pour ma parole, pour celle des personnes que je croise, que j’écoute ou dont je lis les mots en ligne : nous en sommes hélas ! encore très loin. Que le Seigneur, par son Esprit, vienne bénir en abondance nos paroles et nos actes !