Si la question du Mal fait partie de ces questions auxquelles chacun fait face un jour ou l’autre, je vous avoue quand même que j’aurais préféré vous parler du bien : je suis très las des journaux ou des revues qui ne parlent que des malheurs du monde, sans jamais en dévoiler toute une autre face, plus heureuse. Mais c’est vrai, le mal est là, et le romancier anglais, C. S. Lewis, dans son fameux livre Tactique du diable, a signalé depuis longtemps que sa stratégie consistait à se dissimuler, à éviter que l’on parle de lui… Alors, parlons-en.
I. Le mal existe
La première chose à dire, et mon introduction vous l’a un peu suggéré, c’est que le mal existe. Je sais qu’il se trouve des gens pour le nier, pour affirmer que le mal serait le fruit d’un mauvais rapport des choses, d’un certain agencement des causes et des conséquences, bref que « c’est comme ça », et qu’en définitive, nous ne sommes responsables de rien. Ce n’est pas ma vision, ni je crois la vision chrétienne des choses.
Ce mal existe, mais je ne sais pas du tout comment il faut le représenter, et je ne crois même pas qu’il faille le faire. Dans le livre de la Genèse, premier des livres bibliques et sur lequel je vais tout de suite revenir, il se présente sous les traits d’un serpent, ou plutôt il rentre en scène grâce à un serpent. Dans d’autres traditions, le Mal arrive sous la forme d’un affreux diable rouge ou d’un ange déchu, qui ne s’attache pas qu’aux hommes mais aussi aux bêtes : je pense ici au chien Milou dans « Tintin au Tibet ». Et aujourd’hui, certains vous proposent une vision politique du Mal, dont ils font un axe !
Cette dernière proposition nous met face à un problème évident concernant le mal, celui de sa définition : il n’est pas apprécié de la même manière selon les personnes, les temps et les lieux, du moins pour le mal induit, celui que l’on provoque. Il en va sans doute différemment du mal innocent dont il sera à nouveau question plus loin. Dans les propos qui vont suivre, je supposerai pourtant qu’il existe une forme de mal universel, que je définis faute de mieux comme « atteinte au prochain », tout ce qui va l’empêcher d’être lui-même, de vivre, de se développer, de donner tout son potentiel. Ceci permet d’inclure les interdits que l’on dit parfois fondamentaux : tuer, voler, mutiler, faire souffrir, mentir etc.
Ce mal, déjà difficile à représenter comme à définir, je ne sais pas trop non plus comment il est arrivé là, dans notre monde, et j’affirme que la Bible ne le sait pas non plus même si elle en parle. En témoigne le livre de la Genèse, en ses trois premiers chapitres. Peut-être savez-vous que nous disposons avec eux non pas d’un, mais de deux récits de création : le premier scande les sept jours, et il n’y est aucunement question de la création du mal ; le deuxième, dont je vous suggère de lire les versets 3,1-7, met en scène Adam et Ève, et là apparaît un serpent.
Le serpent porte ou apporte le mal qu’il fait connaître à Adam et Ève (3,5), mais je ne crois pas qu’il soit le Mal : il nous est seulement présenté comme faisant partie des animaux des champs que Dieu avait faits (3,1). Le théologien belge Adolphe Gesché , dans un livre passionnant mais pas toujours facile et dont je vais souvent reparler(A. Gesché, Le Mal, coll. Dieu pour penser, t. I, Paris, Cerf, 1993), note à la suite de Kant que le mal, présent à l’origine mais sur l’origine duquel rien n’est dit, ne se trouve ni dans l’orbite de Dieu, ni dans celle de l’homme : le mal est ailleurs, du côté du serpent sans être le serpent. Et plus tard, la tradition chrétienne, en distinguant le ciel, la terre et les enfers, et en situant le mal dans ce dernier lieu, le tient à l’écart du ciel et donc de Dieu, comme de la terre et donc des hommes.
Toute la tradition philosophique a repris cette question de la nature du mal et de son origine, mais sans proposer de raison satisfaisante : elle n’a finalement jamais fait mieux que la Bible. Le philosophe contemporain Paul Ricœur se demande si la sagesse n’est pas de « reconnaître le caractère aporétique de la pensée sur le mal. Définitivement aporétique. Sagesse qui consiste à faire son deuil d’une belle explication rationnelle et satisfaisante du mal »(Citation trouvée sur le site Discernement). Et Adophe Gesché, écrit pour sa part : « Les immenses interrogations (D’où vient le mal ? Pourquoi le mal ? Comment le mal est-il possible ?) finissent par être devenues incompréhensibles depuis que si longtemps elles fusent et se révèlent insolvables. Elles se sont comme enfoncées en elles-mêmes »(op. cit. p. 15).
Alors, que dire et que faire ? Dans un premier temps, je voudrais opérer un discernement : évoquer la tentation d’une part, le péché d’autre part ; dans un deuxième temps, situer Dieu dans tout cela, en m’arrêtant à nouveau sur le livre de la Genèse ; enfin, m’interroger sur la manière de faire face au mal.