La violence des psaumes

Les psaumes ne sont pas seulement la prière des moines lors des offices religieux qui les rassemble, mais aussi la prière de toute l’Église : ils figurent donc, même si on ne leur accorde pas toujours beaucoup d’attention, au menu des messes ou autres célébrations sacramentelles. Or, comme pas mal de passages de l’Ancien Testament en général, mais de manière parfois plus prononcée, ils manifestent une réelle violence ; surtout quand on se rend compte que, lors des célébrations que je viens d’évoquer, l’on n’a gardé que la partie la plus audible, et la plus « soft » de tel ou tel psaume. En voici quelques extraits, que l’on n’a pas trop l’habitude d’entendre, à partir des tout premiers psaumes :

  • « Le Seigneur tourne [les rois] en dérision. Puis dans sa colère il leur parle, dans sa fureur il les épouvante » (2,4-5)
  • « Lève-toi, Seigneur ! Sauve-moi, mon Dieu! Tu frappes à la joue tous mes adversaires, les dents des impies, tu les brises » (3,8)
  • « Tu hais tous les malfaisants, tu fais périr les imposteurs ; l’homme de sang et de fraude, le Seigneur le hait » (5,6-7) etc.

non-violenceAlors bien sûr on fera remarquer que cette violence vise des impies ou des méchants, qu’elle prête à Dieu des sentiments qui sont des sentiments humains, mais que la réalité divine est très différente etc. Ce n’est pas faux, mais de tels propos n’en écorchent pas moins les lèvres de beaucoup qui se refusent à les dire. Le sommet de tous les versets « gênants », bien connu de ceux qui récitent souvent les psaumes, en est sans doute celui-là :

  • « Fille de Babel, qui dois périr, heureux qui te revaudra les maux que tu nous valus, heureux qui saisira et brisera tes petits contre le roc ! » (137,8-9)

Et puis, comme le faisait remarquer un de nos amis, engagé de longue date dans la lutte contre l’exclusion, il faudrait encore ajouter à l’expression claire et explicite de cette violence, des propos ou des situations qui paraîtront violentes à certains, parce que réductrices : notre ami parlait de la tonalité de certains versets, qui exaltent la faiblesse ou même le renoncement. Avec raison, il soulignait combien il est difficile de demander de l’humilité à ceux qui sont déjà humiliés, et qui ont besoin « de s’en sortir ». Il ne leur est donc pas facile d’entendre des versets comme ceux qui vont suivre, et qui paraîtront pourtant anodins à beaucoup :

  • « Qu’est donc le mortel que tu t’en souviennes, le fils d’Adam, que tu le veuilles visiter ? » (8,5)
  • « Vois, mauvais je suis né, pécheur ma mère m’a conçu » (51,7) etc.

A l’inverse, il est facile de rétorquer à notre ami qu’une grande majorité de psaumes souligne l’appui résolu que Dieu apporte à ses créatures les plus faibles et le traitement rigoureux qu’il applique aux orgueilleux :

  • « Le pauvre n’est pas oublié jusqu’à la fin, l’espoir des malheureux ne périt pas à jamais » (9,19)
  • « A cause du pauvre qu’on dépouille, du malheureux qui gémit, maintenant je me dresse, déclare le Seigneur » (12,6)
  • « C’est pourquoi [homme fort], Dieu t’écrasera, te détruira jusqu’à la fin, t’arrachera de la tente, t’extirpera de la terre des vivants » (52,7) etc.

Que dire donc  sur ce sujet de la violence dans les psaumes ? Sans doute qu’elle y est aussi présente que dans la vie elle-même, et qu’il faut voir là l’une des grandes raisons du fait que les psaumes traversent les siècles : ils sont à la portée de tous, ils sont l’écho de la vie telle qu’elle est, dans le quotidien des gens, avec ses grandeurs et ses petitesses, avec sa violence et sa douceur, avec son espérance et son désespoir.

Mais une telle lecture ne peut être faite que si l’on considère l’ensemble des psaumes et non pas tel ou tel verset, entendu par hasard au détour d’une célébration. Devant le risque d’une mauvaise interprétation qui peut naître d’une telle audition, certaines traditions bibliques ou liturgiques ont choisi de gommer (mis entre parenthèses, et souvent carrément supprimés) les versets violents, ceux que les spécialistes disent « imprécatoires » : cette solution est pire que le mal ! Les psaumes ne sont plus que le reflet douceâtre d’un monde que l’on voudrait aseptisé… et qui ne l’est pas ! Et ne le sera jamais. Les versets omis sont peut-être les seuls que certaines personnes, violemment atteintes dans leur chair ou dans leur cœurs, pourraient prononcer, leur seule prière : de quel droit les en priver ? C’est à elles qu’il faut penser en les disant.

En vérité, la violence des psaumes contribue à faire leur force, leur pérennité, et il est plutôt souhaitable d’habituer nos amis, ceux avec qui l’on prie, à leur récitation : leur effroi ou leur étonnement premiers ne manqueront pas, au fil de l’apprentissage, de laisser la place à une meilleure compréhension, parce que plus globale. Peut-être en même temps sera-t-il souhaitable de les aider à comprendre ce qu’est la vraie paix de Dieu, qui ne se donne pas dans un monde « virtuel », mais au cœur même de la violence qui habite notre monde.

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