Faut-il choisir ? Je prends l’Europe et la Vendée !

Drapeau de la VendéeDans une tribune tonitruante parue dans le Figaro, écrite d’une plume flamboyante et aiguisée, Philippe de Villiers, le fondateur du Puy du Fou comme du Mouvement pour la France, exerce sa verve tous azimuts contre les artifices et les artisans de l’exercice du pouvoir. Le titre est tout un programme : « Le pouvoir n’a plus de pouvoir, c’est une clownerie ».

Cette tribune n’est évidemment pas publiée inopinément, elle contribue à faire connaître le livre tout récent du même, actuellement en tête des ventes : « Le moment est venu de dire ce que j’ai vu » (chez Albin Michel). Je viens d’en lire une bonne partie, et je dois confesser que j’aime beaucoup la verve de notre auteur, ainsi que la pertinence de plusieurs de ses propos, par exemple au sujet du dangereux sectarisme de la « bien-pensance » ; en outre, certains portraits de grands noms de la politique, ou plus généralement de l’histoire, sont, à mes yeux, très bien vus. Il reste que le livre me paraît marqué par un pessimisme injustifié, beaucoup trop manichéen : il rencontre l’humeur du temps, mais il suscite aussi bien des questions de fond. En voici une : faut-il choisir entre l’Europe et la Vendée ?

Philippe de Villiers n’en fait pas mystère, il est conservateur. J’aime ce qualificatif, qui se retrouve dans notre Nouveau Testament pour qualifier à deux reprises Timothée : « garde (ou conserve) le bon dépôt » comme il lui est dit en 1 Timothée 6,20 comme en 2 Timothée 1,14. Mais justement, encore faut-il s’entendre sur le bon dépôt, qui est ici bien sûr l’évangile et la tradition reçue, et sur ce que représente la conservation : suppose-t-elle de ne rien changer, de s’en tenir éternellement à son pré carré, d’exclure ? Certainement pas dans le champ biblico-théologique en tout cas.

Que notre Vendéen soit « conservateur » des richesses de sa région, qu’il les mette d’ailleurs en valeur avec un très grand succès dans son spectacle du Puy du Fou, je ne peux que m’en réjouir : ici, il s’agit, non pas de conserver le talent en le mettant en terre, mais de le faire fructifier, ce qui est tout à fait conforme à l’évangile (Matthieu 25,14-30). Mais dès lors qu’est acceptée cette fructification, se trouve aussi acceptée la modification, l’évolution, la transformation, la diversification : le serviteur qui a reçu cinq talents et a fait un pari sur l’avenir, en a gagné cinq autres, sans perdre pour autant les premiers reçus !

Dans son livre, il semble pourtant que Philippe de Villiers choisisse une forme de repli systématique et refuse une telle fructification. Parmi bien des exemples possibles, on peut considérer sa mise en cause ancienne et systématique de l’Europe : nationaliste foncier, il ne lui trouve absolument aucune grâce. Oui, bien sûr, elle est un peu devenue, selon les mots du général de Gaulle au sujet d’une autre institution transnationale, un machin ; oui, elle se fait arbitre de tout, même ce qui ne devrait pas la regarder, et son fonctionnement comme son embonpoint donnent à désirer ;  oui, son atlantisme tout crin amoindrit les consciences nationales et offre un boulevard aux produits et modes de pensée américains ; oui, certains s’en servent pour détruire les initiatives locales… Oui, elle devrait être profondément réformée, se remettre au service des nations plutôt que vouloir les absorber et les dissoudre.

En même temps, et sans qu’elle soit vue avec les yeux de Chimène, elle offre des possibilités d’échange fantastiques que nous ne mesurons pas assez, elle a mis fin à des guerres en son sein qu’on imagine mal revenir, elle apaise des débats même si elle en crée d’autres, elle crée peu à peu une mémoire commune, elle facilite les déplacements (1)… Y compris, je le sais bien, ceux des migrants, que Philippe de Villiers voit d’un très mauvais œil, et dont j’avoue de mon côté ne pas encore bien savoir s’ils représentent une chance ou un malheur pour la dite Europe : compte tenu de l’évangile, de la tradition chrétienne, des appels du Pape, je réponds pourtant une chance, au moins à long terme, tout en ayant une vive conscience des troubles importants à prévoir sur le court ou le moyen terme.

Non, décidément, le repli identitaire ne me semble pas une solution d’avenir, les champs qui sont devant chacun de nous ne sont ni tout de bon grain, ni tout d’ivraie (Matthieu 13,25-30), ils portent l’un et l’autre. Dès lors, je ne vois pas pourquoi l’Europe devrait être opposée à la Vendée ou la Vendée à l’Europe, pourquoi il faudrait choisir l’une ou l’autre plutôt que l’une et l’autre. Distinguer, oui, opposer, non. La tradition théologique classique l’affirme depuis longtemps : distinguer, c’est unir, opposer, c’est détruire. Aussi, avec sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus, « je choisis tout ».

 

(1) On trouvera une défense bien plus ample et fondée des idées européennes et du fonctionnement des Institutions européennes dans les éditoriaux et tribunes régulièrement publiés sur le site de Jean-Dominique Giuliani, président de la Fondation Robert Schuman.

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