Notre époque, sans innover absolument, se complaît facilement dans une certaine forme d’émotion, et nos hommes politiques, qui s’en servent avec habileté, le savent : dix morts par ci, trente blessés par là, c’est tragique et regrettable bien sûr, et voilà qu’accourt une cohorte de journalistes, de politiques, de bavards de tous poils, pour disserter longuement sur l’événement, pour assurer les rescapés de leur compassion et de celle de la France. En restant souvent à la surface, en attendant que tout cela passe, et en oubliant qu’au même moment, ailleurs dans notre monde, d’autres événements aussi tragiques et dans lesquels nous avons peut-être une responsabilité indirecte, se déroulent.
Je ne conteste pas cette forme légitime d’émotion : je m’interroge seulement sur sa nature et sa profondeur. C’est celle que la France a connue lors de l’attentat contre Charlie-Hebdo : d’un seul coup, d’une seule âme pour beaucoup, les Français se sont sentis atteints non seulement dans leurs idéaux, mais aussi dans leur propre chair. Pour combien de temps et selon quel processus ? Presque toujours je crois par identification avec la ou les personnes visées ou atteintes. Cette émotion est une empathie et présente une dimension volontaire : il ne faut pas donc s’étonner que tout le monde ne s’y retrouve pas de la même manière. Je me suis d’ailleurs déjà exprimé sur ce sujet.
Il existe une autre forme d’émotion qui ne conduit pas celui ou celle qui l’éprouve vers celui ou celle qui la donne, mais à l’inverse, de celui ou celle qui la donne, ou de quelqu’un au-delà d’elle, à celui ou celle qui l’éprouve, gratuitement, sans identification, sans que rien n’ait été voulu. Elle ne résulte pas le plus souvent d’un événement tragique, mais simplement d’un geste, d’une vision ou d’une parole. Je pense en ce moment précis à l’interprétation d’une chanson de Bette Midler, The Rose, par une jeune Mauricienne aveugle de 15 ans, Jane Constance : c’est tout à fait poignant et, ce samedi 24 octobre, le Jury de The Voice Kids, profondément ému, ne s’y est pas trompé qui a fait de cette toute jeune chanteuse la gagnante de l’émission. Jugez sur pièce :
Qu’a donc de caractéristique cette émotion-là ? Elle ne procède pas d’un artifice quelconque voulu par l’interprète, et certainement pas dans l’exemple évoqué de la touchante cécité de la chanteuse, mais d’une simple voix, aux harmoniques incroyables, qui transperce le cœur et dans laquelle l’interprète se donne tout entière ; une voix qui semble venir d’au-delà des cieux, qui véhicule une dimension spirituelle et que l’interprète réussit à transmettre. Émotion forte et durable.
Ici, c’est une voix ; dans d’autres situations, ou pour d’autres personnes, ce sera un paysage, une parole, une attention, une peinture… Peu importe. En toutes ces occasions, n’ayons garde de l’oublier et sachons en rendre grâces, notre Dieu vient visiter la terre. Merci cette fois-ci à sa médiatrice, Jane Constance.
Je suis tout à fait d’accord et j’ai moi-même été plus qu’émue par la prestation de Jane.