L’impuissance devant la souffrance

père et filsDans un extraordinaire témoignage sur ce que peut être son rôle de père auprès de Gaspard, son fils malade, témoignage que j’ai choisi de recopier sur ce blog, notre ami Benoît Clermont avoue que la difficulté la plus grande et la plus douloureuse qu’il rencontre est sans doute celle de son impuissance devant la maladie : il pense que, du fait de l’image virile qu’il a de lui, un père souffre plus qu’une mère, mais je suis sûr que son épouse Marie-Axelle, autrement peut-être, en fait le douloureux constat elle aussi. Comme tant d’autres confrontés aux mêmes difficultés. Ce constat apparaît encore plus douloureux lorsque la personne qui souffre est un enfant, dont on pensera spontanément qu’il a moins de ressources pour se battre et se défendre qu’un adulte dans la même situation… ce qui n’est peut-être pas si évident que cela ! Mais ne cherchons pas à établir de gradation, l’impuissance face à la souffrance d’un proche, sa maladie ou sa mort, apparaît à tout être humain comme un échec insupportable.

Cette impuissance et la douleur qu’elle génère sont celles que je côtoie régulièrement sur de nombreuses pages Facebook mais, à vrai dire, elles se manifestent aussi sur bien d’autres plans. Pour prendre un exemple qui me travaille au cœur, pensons aux exactions de l’État islamique vis-à-vis des chrétiens en Irak ou en Syrie : quel autre chrétien peut y rester insensible et ne pas faire la douloureuse expérience de sa propre impuissance ? Le conflit est loin, les acteurs puissants et déterminés, les morts se comptent par milliers… A certains moments, je trouve presque trop doux certains versets de psaume, comme celui-ci : « Fais retomber sept fois sur nos voisins, à pleine mesure, leur insulte, l’insulte qu’ils t’ont faite, Seigneur » (Ps 79,12).

Il est difficile de se contenter de faire un tel constat d’impuissance, très négatif a priori, sans proposer quelque chose de positif qui puisse faire contrepoids. On nous dira souvent, et sans doute l’ai-je dit moi aussi, que faute de pouvoir agir au niveau où cela devrait être fait, la scène internationale par exemple, on peut au moins essayer de « se montrer puissant en actes et en paroles » (Lc 24,19 ; Ac 7,22) dans des cercles plus restreints comme nos familles, nos cercles d’amitié, nos communautés, nos villes : non par des prodiges, mais en mettant en œuvre et en développant notre souci de paix, de simplicité, de modestie, de charité. C’est toujours la fameuse position du colibri, déjà évoquée sur ce blog dans une thématique proche de celle de ce nouveau billet : si je ne peux pas éteindre le feu de la forêt, je peux au moins verser quelques gouttes, et ma contribution ne sera pas inutile si elle se multiplie à des milliers d’exemplaires.

Rien à dire à cela, qui peut rejoindre n’importe lequel de nos contemporains, croyant ou non. Mais le croyant est sans doute appelé à faire une expérience supplémentaire, celle de la force de l’abandon et de la prière. Abandon : déjà ce seul mot en fera bondir certains, qui vous citeront par exemple le fameux dicton : « aide-toi et le ciel t’aidera ». Pas faux, mais il y a un au-delà, pas seulement de la vie, mais de tout ce que l’humain peut « faire », et il  faut accepter alors de « laisser faire » : on en fait l’expérience à certains moments de nos vies, mais faire et laisser faire ne sont pas antagoniques et nous devrions les conjuguer sans cesse. Ce qui n’a rien d’évident pour l’être humain sans cesse porté vers un « faire ». 

L’apôtre Paul s’est largement exprimé sur ce sujet dans les derniers chapitres de la deuxième lettre aux Corinthiens, et en particulier dans ce cri du cœur : « C’est lorsque je suis faible que je suis fort » (2 Co 12,10). De telle sorte que l’apôtre ne peut se glorifier de rien du tout, mais seulement se réjouir de l’action de Dieu. Il me semble que le témoignage de Benoît, évoqué plus haut, rejoint celui de Paul : Gaspard ne demande rien d’autre à son père que d’être là auprès de lui, dans l’abandon et la prière. Marie-Axelle et lui ont fait tout ce qu’ils ont pu pour leur fils, et ils continuent de le faire, comme en témoigne à l’envi leur page Facebook. Quand Dieu prend la barre, il ne nous met pas de côté, il prend en compte ce que nous sommes et ce que nous faisons, mais il ajoute une certaine sûreté dans la conduite parce qu’il conduit bien, et son action est source d’une très grande joie : Marie-Axelle et Benoît peuvent en témoigner, c’est « l’effet Gaspard » dont nous parlons entre nous, avec des rencontres imprévues, des retournements inattendus, des conversions joyeuses alors que le sujet est si grave…

Si nous ne nous sommes pas tournés vers lui plus tôt, et même si nous l’avons fait, l’impuissance devant la souffrance quelle qu’elle soit est ainsi une merveilleuse occasion de faire appel à Dieu pour qu’il fasse œuvre de puissance. On ne peut jamais et en aucune façon se réjouir de la souffrance, mais l’on peut se réjouir très profondément de la manière dont Dieu nous vient en aide et se sert de notre impuissance pour manifester la sienne : c’est sans doute une épreuve pour notre foi, mais il répond à notre attente, j’en suis convaincu. Attention, ce ne sera peut-être pas de la manière dont nous pensons qu’il devrait le faire parce qu’il voit les choses avec plus d’ampleur que ne nous le permettent nos yeux et nos informations. 

Ce qui justifie que l’apôtre Paul puisse écrire : « En ce moment je trouve ma joie dans les souffrances que j’endure pour vous, et je complète en ma chair ce qui manque aux épreuves du Christ pour son Corps, qui est l’Église » (Col 1,24).

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