Faut-il nommer l’amour quand on écrit en ligne, ou se contenter d’en parler de manière générale ? Deux positions s’affrontent, pacifiquement s’entend, parmi les rédacteurs d’obédience chrétienne : la première souhaite que l’amour soit explicitement nommé, autrement dit que le référent, qu’il soit Dieu, Jésus ou l’Esprit, soit évoqué ; la deuxième pense qu’il serait dommage de tenir à l’écart trop de lecteurs qui, tout en vivant d’amour, ne lui donnent pas de nom et seraient d’emblée repoussés par une nomination trop précise.
Dire, ne pas dire, attester, ne pas attester, nommer ou plutôt suggérer… Constatons que cette question n’est pas vraiment neuve, et qu’elle se pose aussi sous d’autres formes et en bien d’autres domaines dans le monde chrétien : par exemple à propos de François Fillon confessant publiquement son engagement chrétien et étant pris vigoureusement à parti pour cela ; ou bien encore, dans mon ordre religieux dominicain, lorsque certains reprochent à d’autres, en général plus jeunes, de se montrer partout en habit religieux quand eux, à une autre époque, ont tenu à s’en distancier.
Quand j’étais encore un jeune étudiant dans le domaine biblique, l’un de mes professeurs nous rappelait souvent : « quand une question est posée en termes de ou… ou, la bonne réponse est le plus souvent et… et ». Je n’ai jamais oublié cette recommandation dont je n’ai cessé de vérifier la pertinence. Dans les alternatives que j’ai évoquées, le bon choix me semble souvent de ne pas choisir, je veux dire de ne pas choisir de manière absolue et définitive : dans telle ou telle circonstance, dans tel ou tel milieu, pour telle ou telle raison, il faut avoir le courage d’attester sa foi et prendre les moyens pour cela ; à d’autres moments, il faudra s’en abstenir. Durablement ou pour trouver peut-être une meilleure écoute dans une meilleure occasion.
Maintenant, pour ce qui concerne la question initiale du terme amour et de ses références, je serais sans doute plus incitatif pour des publications en ligne. Sur Internet, la dissimulation parfois, l’imprécision souvent, règnent en maîtres et créent de la confusion. Aujourd’hui, force est de constater que le mot amour est employé à toutes les sauces et recouvre selon les personnes des réalités très différentes: un vague sentiment, un élan, « des ondes positives » comme on peut lire sur certains courriers des lecteurs etc. Dans une émission (Sans langue de buis) toute récente proposée sur KTO au sujet de l’avortement, Mgr de Kérimel, évêque de Grenoble, insistait fortement en évoquant les plus jeunes : « Il faut apprendre à aimer ». Mais comment faire si nous, adultes chrétiens, ne nommons pas l’amour ? Je ne crois pas qu’aujourd’hui l’attestation de foi, pour peu qu’elle soit respectueuse, fasse sourciller, bloque ou repousse, mais plutôt qu’elle surprend et intrigue. Même dans le cas de M. Fillon évoqué plus haut, où les réactions tiennent de ce qu’on appelle aujourd’hui « des postures ». Cette attestation va en attirer certains, il est possible ou probable qu’elle en éloignera d’autres, mais étaient-ils prêts à la rencontre ? Les aurait-on gardés sur son blog ou sa page si l’on avait été plus discret ? Pas si sûr.
Nommer l’amour, rappeler son origine en Dieu Trinité, dans le rapport du Père, du Fils et de l’Esprit, avec le terme grec agapê qui le désigne, le distinguer de l’amour d’amitié, en grec philia, ou de l’amour humain, en grec eros, est un service rendu à celui qui me lit ou m’écoute, en particulier dans les publications et débats en ligne. Il s’agit de mettre un peu d’ordre, de mieux savoir de quoi ou de qui on parle (1 Co 14,33). Distinguer (nommer) pour unir, c’est en outre une exigence théologique traditionnelle qui s’inscrit dans la ligne de la première création telle qu’elle est rapportée en Gn 1.
Confesser avec tact l’amour comme d’origine divine (1 Jn 4,16), rappeler qu’il s’est pleinement manifesté dans notre monde en Jésus-Christ (Rm 8,39) et que tout homme peut y avoir part grâce à l’Esprit de Dieu (Rm 5,5), ce n’est pas mettre à l’écart qui que ce soit, c’est au contraire inviter les lecteurs ou auditeurs à approfondir cet amour dont ils vivent déjà, à en retrouver la véritable source, à souhaiter en recevoir le bienfait. C’est une contribution chrétienne importante dans un monde de confusion.