Le zapping ou le temps de Dieu dénaturé

Le verbe zapper et le nom zapping sont deux mots relativement récents dans la langue française puisqu’ils dateraient des années 90 : ils y sont devenus très courants, sans doute en relation avec le développement des moyens de communication et de la publicité. Les spécialistes leur donnent pourtant une origine anglaise, une onomatopée « Zap » qui, dans une bande dessinée des années 80, apparaissait dès lors qu’un adversaire était tué : le zapping est donc devenu le fait de « tuer » une publicité en changeant de chaîne de télévision, et finalement de « tuer » la chaîne elle-même pour passer à une autre. Sur tout cela, voir l’article de Wikipedia.

Qui zappe aujourd’hui ? Tout le monde et pas seulement les jeunes générations : car le zapping est devenu une sorte de caractéristique de notre époque, qui déborde le comportement devant un programme télévisé. Il se manifeste dans bien d’autres domaines, en particulier dans le relationnel, le culturel, le politique : nous naviguons comme de frêles esquifs, au gré des vents dominants et de nos humeurs, d’un amour à un autre, d’un auteur à un autre, d’une opinion à une autre, d’une information à une autre, sans aucune distance, sans aucune continuité, sans aucune durée. Et nous nous affirmons avec d’autant plus de violence, dans les propos et parfois aussi hélas ! dans les actes, que nous ne sommes plus sûrs de rien. Nous ne sommes rattachés nulle part, nous n’avons pas de racines, nous les avons perdues ou nous les nions, en particulier pour certains lorsqu’elles sont ou pourraient être chrétiennes.

dieu chronosDerrière tout cela, il me semble que se joue le rapport de chacun au temps. Que nous le voulions ou non, nous vivons dans un temps long, que la langue grecque exprime par le terme chronos, bien connu par ses dérivés dans la langue française. Un temps de plus en plus long d’ailleurs tant l’espérance de vie s’allonge, au moins dans nos pays occidentaux. Dès lors, ce temps, au lieu d’être vécu comme un allié, comme un lieu de vérification et d’enracinement, qui nous oriente et nous « tient », est perçu comme un lieu vague, qui se trouve trop en avant de nous, qui est donc difficile à appréhender, qui échappe. Et chacun est sans cesse tenté de se rabattre sur le temps court, sur le moment, sur l’instant, pour lequel le grec a aussi un mot, kairos : on parle aujourd’hui de « l’événementiel », quelque chose que l’on crée (on fait la fête au lieu de l’accueillir), qui nous rassure, que l’on mesure et dans lequel on se retrouve. Et que l’on multiplie pour chasser l’angoisse de nos flottements et incertitudes.

Ce kairos-là est sur le moment sécurisant, on s’y accroche. Mais la paradoxe aux yeux du bibliste est que le terme kairos désigne aussi, traditionnellement, le moment, certes furtif mais non moins réel et fort, du passage de Dieu, de sa visite dans le temps long (Ex 32,34 ; Sg 3,7 ; 4,15 ; Sir 16,18 ; Jr 6,6 ; 32,5 etc.). Si bien que le monde actuel a remplacé le vrai kairos par un faux kairos, un ersatz qui n’apporte rien qu’un vague soulagement, éphémère et sans effet dans le chronos, lequel en devient terriblement pesant ! Et nos générations, jeunes ou moins jeunes, sont happées par la mauvaise copie. Faut-il souligner combien du coup il est difficile de vivre le temps long, combien « l’engagement » mais aussi la parole vraie, qui demandent de la distance, qui se vérifient dans la durée, se trouvent dévalués, alors même qu’ils sont sans doute plus ou moins secrètement recherchés ? 

Le temps est dénaturé, nous ne le reconnaissons plus tel qu’il est vraiment, qu’il soit long ou court, chronos ou kairos, à savoir un don de Dieu ; sinon de manière très « temporaire », dans certaines grandes catastrophes, dans des événements subits ou douloureux dont on veut bien admettre qu’ils « nous dépassent ». Rétablissons la vérité : s’ils sont vraiment vécus en Dieu, il restent douloureux, provocants, mais la possibilité nous est bien offerte de les dépasser.

 

 

 

 

 

 

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