Pas si franche maçonnerie…

A l’occasion de la mort héroïque du colonel Beltrame, les médias ont rappelé son engagement chrétien affirmé, avant que, ou en même temps que, peu importe, le grand maître de la Grande Loge de France ne souligne aussi son engagement dans la franc-maçonnerie. Plusieurs internautes se sont interrogés sur la qualité de ce dernier engagement, sur sa persistance après sa conversion au christianisme etc. Le colonel n’est plus là pour répondre, et le Père Jean-Baptiste, chanoine de Lagrasse, qui l’a accompagné depuis deux ans, ne répondra pas sur ce point : dans une lettre publique, il souligne seulement « son adhésion inconditionnelle et fervente à toute la foi catholique et à sa tradition ». Ce que d’aucuns traduiront en « il avait renoncé à la franc-maçonnerie », bien que rien de tel ne soit formellement dit.

Peut-on vraiment tenir conjointement ces deux engagements, dans la foi catholique et dans la franc-maçonnerie ? Certains le prétendent et le font, j’en ai rencontré : ils expliquent souvent que l’enseignement franc-maçon ne va pas à l’encontre de l’enseignement des Écritures ou de l’Église, mais qu’il le complète, qu’il existe d’ailleurs des loges « spirituelles », que leur engagement franc-maçon favorise la fraternité entre les hommes au même titre ou mieux que d’autres mouvements etc. D’autres, qui ont souvent quitté la franc-maçonnerie et s’en sont expliqués dans des livres, clament haut et fort une incompatibilité intrinsèque.

Je sais que les autorités ecclésiales sont devenues prudentes, quand d’autres diront frileuses, sur le sujet de la compatibilité entre franc-maçonnerie et foi catholique, et les réponses varient selon les sites consultés : voir par exemple l’article très ambigu sur le site Croire, mais le rejet réitéré rappelé dans cet article de Famille chrétienne. Je ne suis pas un spécialiste du sujet, loin de là, mais je connais juste un peu les saintes Écritures et l’histoire de l’Église : c’est à ce simple titre que je m’interroge, et sur un point très précis, celui d’un « enseignement » que l’on présente donc souvent comme complémentaire.

Âne et boeufIl y a eu dans l’Église de tels enseignements dès les premiers temps de son histoire, et l’on connaît les « textes apocryphes », auxquels on doit par exemple l’histoire du bœuf et de l’âne à la crèche : il fallait compléter des récits évangéliques jugés trop pauvres, et ne laissant pas suffisamment de place au merveilleux. Mais il y a surtout eu ce que certains Pères de l’Église, à l’exemple de saint Irénée dans son fameux Adversus Haereses (« Contre les Hérésies »), ont vigoureusement combattu, à savoir la Gnose : ici, on ne parle plus de quelques enrichissements pieux, mais d’un système qui se met peu à peu en place dès la fin du premier siècle, et qui prend appui sur des traditions philosophiques ésotériques existantes, extrinsèques, pour interpréter ou réinterpréter l’Écriture. Un exemple connu se trouve dans l’indigeste Évangile de vérité, trouvé parmi les textes de Nag Hammadi.

Dans le contenu de plusieurs de ces textes gnostiques, on trouve entre autres une certaine lecture du monde et de l’histoire, une grande insistance sur la valeur symbolique de l’Écriture en rapport à celle de l’univers, un mode de connaissance par étapes, avec une insistance sur le secret,  avec des initiés et des grades,  et je retrouve là ce que certains m’ont rapporté de l’enseignement donné en franc-maçonnerie…

Je sais bien que toute parole, tout texte écrit ne peuvent se prêter à une lecture « immédiate », sans filtres, que l’interprétation est une nécessité, mais de quelle interprétation parlons-nous ici ? Celle de la franc-maçonnerie, à supposer qu’elle soit uniforme ce qui n’est pas sûr, est-elle légitime ? Confrontée au départ à la Gnose, puis plus tard à de multiples lectures de son bien fondamental qu’est l’Écriture, l’Église catholique s’est peu à peu donnée des règles d’interprétation de cette Écriture, constituant une partie de ce que l’on appelle la Tradition. Pour ma part, je ne vois aucunement la nécessité de recourir à d’autres règles, à d’autres propositions que celles que je trouve aujourd’hui dans l’Église catholique. Mais s’il s’en trouvait d’autres, il serait souhaitable qu’elles soient clairement proposées et connues, et confrontées à la tradition interprétative aujourd’hui multi-séculaire de mon Église, en particulier à ses maîtres anciens et médiévaux : il n’est pas sûr qu’elles y résistent !

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