Lorsqu’on commence la lecture des Actes des Apôtres, on rencontre ce que certains traducteurs appellent un prologue, qui s’étendrait sur les versets 1 à 5. En vérité, les deux premiers versets sont différents des trois suivants : ils sont clairement des versets de liaison, qui reprennent le propos et l’étendue du premier livre, jusqu’à l’évocation de l’Ascension à la fin du verset 2 ; le verset 3 joue un rôle de charnière, reprenant et étendant ce qui avait été dit dans l’évangile, et les deux suivants nous situent déjà dans le cadre du deuxième livre, comme en continuité avec le premier.
Faut-il parler de préface ? Certains commentateurs le font, mais on voit mal leurs raisons. Qu’est-ce qui caractérise une préface ? Si le petit Larousse évoque « un discours préliminaire placé en tête d’un livre », le petit Robert est plus précis en évoquant « un texte placé en tête d’un livre et qui sert à le présenter au lecteur ». Or, les versets 1-2, je viens de le dire, regardent en arrière, le verset 3 se situe entre les deux, et les versets 4-5 annoncent la venue de l’Esprit, mais sans rien anticiper. Il faut donner raison à J. Dupont qui, dans une note de l’édition BJ en fascicules à propos du verset 2, écrit : « On est un peu surpris de voir la phrase tourner court ; on attendrait, après le rappel du contenu du livre précédent, un bref aperçu de la manière de celui-ci. A lieu de cela, Luc entre directement en matière ». Mais ce côté abrupt pourrait être le signe que les deux livres ont pu un temps n’en faire qu’un, ou qu’il y a eu plusieurs éditions.
Nous sommes donc bien face à une introduction, mais non une préface. S’il faut utiliser ce terme, c’est à propos des quatre premiers versets de l’évangile qu’il faut y avoir recours.
A. Les précédents
Avec ces versets, nettement séparés au plan littéraire de ceux qui suivent, il s’agit bien de définir, avec une certaine distance ou une certaine hauteur, comme on voudra, le propos de l’ensemble du livre qui va suivre. Avant de s’y arrêter un peu plus en détail, il est intéressant de rappeler qu’une telle préface n’est pas absolument originale, et donc de comparer avec celles qui ont pu exister à l’époque pour d’autres ouvrages. Trois d’entre elles au moins sont classiquement évoquées :
- La préface du 2e livre des Maccabées, que l’auteur n’a pas situé au tout début, mais au chapitre 2, après une lettre dont l’auteur ne semble pas garantir la valeur
- Deux de celles que l’historien Flavius Josèphe attache à ses œuvres, en l’occurrence celle du livre I du Contre Apion, puis du livre II
- Deux préfaces de l’Histoire Générale de Polybe, correspondant à deux chapitres successifs
En voici le texte, dans la traduction BJ pour 2 M, dans des traductions personnelles et approchées pour les deux dernières :
2 M 2,19-32
19 L’histoire de Judas Maccabée et de ses frères, la purification du très grand sanctuaire, la dédicace de l’autel, 20 les guerres contre Antiochus Épiphane et son fils Eupator, 21 et les manifestations célestes produites en faveur des braves qui luttèrent généreusement pour le Judaïsme, de telle sorte que malgré leur petit nombre ils pillèrent toute la contrée et mirent en fuite les hordes barbares, 22 recouvrèrent le sanctuaire fameux dans tout l’univers, délivrèrent la ville, rétablirent les lois menacées d’abolition, le Seigneur leur ayant été propice avec toute sa mansuétude, 23 tout cela ayant été exposé en cinq livres par Jason de Cyrène, nous essaierons de le résumer en un seul ouvrage. 24 Considérant le flot des chiffres et la difficulté qu’éprouvent ceux qui veulent entrer dans les détours des récits de l’histoire, à cause de l’abondance de la matière, 25 nous avons eu le souci d’offrir de l’agrément à ceux qui se contentent d’une simple lecture, de la commodité à ceux qui aiment à confier les faits à leur mémoire, de l’avantage à tous indistinctement. 26 Pour nous qui avons assumé le pénible labeur de ce résumé, c’est là non une tâche aisée, mais une affaire de sueurs et de veilles, 27 non moins difficile que celle de l’ordonnateur d’un festin qui cherche à procurer la satisfaction des autres. De la même façon, pour rendre service à nombre de gens, nous supporterons agréablement ce pénible labeur, 28 laissant à l’écrivain le soin d’être complet sur chaque événement pour nous efforcer de suivre les contours d’un simple précis. 29 De même en effet que l’architecte d’une maison neuve doit s’occuper de toute la structure, tandis que celui qui se charge de la décorer de peintures à l’encaustique doit rechercher ce qui est approprié à l’ornementation, ainsi, pensé-je, en est-il pour nous. 30 Pénétrer dans les questions et en faire le tour pour en examiner avec curiosité tout le détail appartient à celui qui compose l’histoire, 31 mais, à celui qui fait une adaptation, il faut concéder qu’il recherche la concision de l’exposé et renonce à une histoire exhaustive. 32 Commençons donc ici notre relation sans rien ajouter à ce qui a été dit, car il serait sot d’être diffus avant d’entamer l’histoire et concis dans l’histoire elle-même.
Josèphe, Contre Apion
Livre I
1 J’ai déjà suffisamment montré, je pense, très puissant Épaphrodite, par mon histoire ancienne, à ceux qui la liront, et la très haute antiquité de notre race juive, et l’originalité de son noyau primitif, et la manière dont elle s’est établie dans le pays que nous occupons aujourd’hui ; en effet 5 000 ans sont compris dans l’histoire que j’ai racontée en grec d’après nos Livres sacrés. 2 Mais puisque je vois bon nombre d’esprits, s’attachant aux calomnies haineuses répandues par certaines gens, ne point ajouter foi aux récits de mon Histoire ancienne et alléguer pour preuve de l’origine assez récente de notre race que les historiens grecs célèbres ne l’ont jugée digne d’aucune mention, 3 j’ai cru devoir traiter brièvement tous ces points afin de confondre la malveillance et les mensonges volontaires de nos détracteurs, redresser l’ignorance des autres, et instruire tous ceux qui veulent savoir la vérité sur l’ancienneté de notre race. 4 J’appellerai, en témoignage de mes assertions, les écrivains les plus dignes de foi, au jugement des Grecs, sur toute l’histoire ancienne ; quant aux auteurs d’écrits diffamatoires et mensongers à notre sujet, ils comparaîtront pour se confondre eux-mêmes. 5 J’essaierai aussi d’expliquer pour quelles raisons peu d’historiens grecs ont mentionné notre peuple ; mais, d’autre part, je ferai connaître les auteurs qui n’ont pas négligé notre histoire à ceux qui les ignorent ou feignent de les ignorer.
Josèphe, Contre Apion
Livre II
1 Dans le cours du premier livre, très honoré Épaphrodite, j’ai fait voir la vérité sur l’antiquité de notre race, m’appuyant sur les écrits des Phéniciens, des Chaldéens et des Égyptiens, et citant comme témoins de nombreux historiens grecs ; j’ai, en outre, soutenu la controverse contre Manéthôs, Chœrémon et quelques autres. 2 Je vais commencer maintenant à réfuter le reste des auteurs qui ont écrit contre nous. Pourtant je me suis pris à douter s’il valait la peine de combattre le grammairien Apion ; 3 car dans ses écrits, tantôt il répète les mêmes allégations que ses prédécesseurs, tantôt il ajoute de très froides inventions ; le plus souvent ses propos sont purement bouffons et, à dire vrai, témoignent d’une profonde ignorance, comme émanant d’un homme au caractère bas et qui toute sa vie fut un bateleur. 4 Mais puisque la plupart des hommes sont assez insensés pour se laisser prendre par de tels discours plutôt que par les écrits sérieux, entendent les injures avec plaisir et les louanges avec impatience, j’ai cru nécessaire de ne point laisser sans examen même cet auteur, qui a écrit contre nous un réquisitoire formel comme dans un procès.
Polybe, Histoire générale
Préface I
1 Si des chroniqueurs antérieurs avaient négligé de parler en faveur de l’Histoire en général, il aurait été peut-être nécessaire que je le fasse moi-même pour recommander à tous de choisir d’étudier et d’accueillir des traités comme celui-ci, du fait que les hommes n’ont pas d’autre ligne de conduite bien établie que la connaissance du passé. 2 Mais tous les historiens, sans exception, et avec un engagement total, en faisant de cela le commencement et la fin de leur travail, nous ont gravé dans le cœur que la meilleure manière de se préparer à une vie politique active est d’étudier l’Histoire, et la méthode d’instruction la plus sûre, sinon la seule, pour braver les vicissitudes de la fortune, est de se souvenir des calamités qu’ont connues les autres. 3 C’est pourquoi, à l’évidence, personne, et encore moins moi-même, ne penserait aujourd’hui de son devoir de répéter ce qui a déjà été si bien et souvent fait. 4 Car la dimension même d’inattendu dans les événements que j’ai choisis comme thème seront suffisants pour provoquer et inciter chacun, jeunes et vieux de même, à lire attentivement mon histoire systématique. 5 Car qui serait si indigne ou indolent pour ne pas désirer connaître par quels moyens et avec quel système politique les Romains, en moins de 53 ans, ont réussi à se soumettre presque tout le monde habité, une chose unique dans l’histoire ? 6 Ou qui encore serait si passionnément engagé dans d’autres spectacles ou études qu’il regarderait toute chose comme une réalité plus grande que l’acquisition de ce savoir ?
Préface II
1. Dans le livre précédent, j’ai déterminé en premier lieu à quelle date les Romains, ayant soumis l’Italie, commencèrent à prendre des initiatives en dehors de la péninsule. Ensuite, j’ai rapporté comment ils ont traversé vers la Sicile, et quelles furent leurs raisons pour entreprendre la guerre avec Carthage pour la possession de cette île. Après avoir raconté quand et comment ils bâtirent des forces navales, j’ai continué l’histoire de la guerre des deux côtés jusqu’à sa fin, lorsque les Carthaginois évacuèrent toute la Sicile, et lorsque les Romains ont acquis toute l’île à l’exception des parties qui appartenaient à Hiéron. Dans la partie suivante, je me suis astreint à décrire comment les mercenaires se révoltèrent contre Carthage et avaient provoqué ce que l’on a appelé la guerre libyenne ; j’ai décrit toutes les terribles atrocités commises dans cette guerre, avec ses surprises dramatiques, et leurs résultats, jusqu’à ce que Carthage finisse par triompher. Je me propose maintenant de donner un résumé, selon mon projet original, des événements qui ont immédiatement suivi.
Ce qui caractérise, mais aussi différencie, ces préfaces de celle que Luc propose dans son évangile, c’est ce qu’il faut voir maintenant.
- La première, celle de 2 Mac, commence (v. 19-23) par un renvoi vers une œuvre antérieure que l’auteur rappelle à très grandes lignes. Le but de notre auteur est seulement d’offrir un modeste résumé, dont il souligne néanmoins la difficulté face à l’abondance des matériaux disponibles. Il ne compose donc pas, mais propose une adaptation concise.
- Flavius Josèphe prend soin de se démarquer des historiens qui écrivent pour se faire remarquer. Il écrit lui plutôt par nécessité, par souci de vérité face à des falsifications. Il a le souci d’écrire « brièvement », mais ne propose pas une méthode.
- La première préface de Polybe rappelle que l’histoire est nécessaire à l’activité politique, et qu’il n’est pas besoin de revenir là-dessus. Pour lui, l’intérêt de son travail, qui ne se veut pas exhaustif (un ‘résumé’), est de confronter le lecteur à des événements incroyables auxquels il n’est pas inutile de réfléchir.
- La deuxième préface, qui a été retranscrite ici parce qu’elle peut rappeler le début des Actes, n’a rien de très original : elle rappelle le travail déjà fait et annonce celui qui reste à faire.
B. La préface de l’évangile de Luc
Rappelons le texte :
1 Puisque beaucoup ont entrepris de mettre en ordre un récit sur les événements accomplis parmi nous, 2 de même, comme nous l’ont transmis depuis le commencement les témoins visuels et ceux qui sont devenus les gardiens de la parole, 3 j’ai pensé moi aussi ayant examiné tout depuis les origines avec acribie d’écrire pour toi de manière ordonnée, cher Théophile, 4 afin que tu connaisses la sûreté au sujet des paroles dont tu as été instruit
Lorsque l’on compare cette préface à celles qui viennent d’être évoquées, on voit qu’elle partage avec celles-là le fait de faire référence à des travaux antérieurs : c’est une histoire parmi d’autres histoires. Mais on remarquera plusieurs points singuliers :
- Luc parle de « composition », (anataxasthai), autrement dit d’une mise en ordre.
- Cette composition n’est pas une compilation ou un résumé : Luc, même s’il avoue s’être aidé de témoignages, fait œuvre originale, il est allé aux sources, à la différence d’un Polybe ou de l’auteur de 2 M. Flavius Josèphe prétend avoir fait de même, mais ses sources sont des écrits du passé, quand pour Luc ce sont des « témoins et (epexégétique) des serviteurs de la parole », on dirait aujourd’hui des « personnes engagées ».
- En même temps, à la différence de Flavius Josèphe, il n’évoque pas d’implication personnelle : il transmet ce qui lui a été transmis.
- Comme les autres aussi, la préface de Luc définit plusieurs objectifs qui la distinguent des travaux antérieurs. Le premier de ces objectifs est de servir un tiers, Théophile, dans son affermissement chrétien[1] : ce n’est pourtant pas celui-ci qui est à l’honneur, mais un mort ressuscité. Le travail de Luc, à la différence de celui de Josèphe, fait état d’une méthode.
- Enfin et surtout, il faut souligner l’existence d’un autre objectif, implicite peut-être, mais bien présent, qui consiste à souligner la qualité de l’information recueillie. Josèphe y fait allusion, mais Luc insiste lui très fortement : il s’est informé auprès de témoins oculaires (autoptai), il s’est intéressé à tout depuis le début ou les origines (ap archêsanôthen), il s’est informé exactement (trad. litt. avec acribie)… Certes, je l’ai rappelé, il a « mis de l’ordre », mais à partir d’une enquête très sérieuse, et il faut donc des raisons fortes pour mettre en question l’information fournie.
Pour toutes ces raisons, et pour autant bien sûr que Luc ait respecté dans son œuvre double le programme fixé, il prétend avoir fait œuvre d’historien. Ce qui sera dit plus loin des termes, références et autres, que je désignerai sous le nom de faits bruts, donne un aperçu du sérieux de l’enquête menée ; mais il ne faut pas pour autant se voiler la face : l’accent mis sur l’Ascension dans la « préface » des Actes comme un peu plus loin en 1,22, au détriment en quelque sorte de la Passion (à peine évoquée en 1,3), montre la prégnance de l’intention théologique.
Il faut donc voir de près comment Luc compose, et si l’objectif historique reste alors bien respecté. Pour cela, il convient d’analyser les grands passages déjà évoqués plus haut.
C. Quelques faits bruts
Il n’est pas très utile de s’étendre sans fin sur cette question, largement développée par C. Hemer dans son ouvrage, et fort bien présentée par C. Price dans un long article[2]. Ce dernier commence par rappeler la situation difficile des historiens de l’Antiquité, confrontés à un manque de documents de référence. Il cite Martin Hengel[3] : « Une connaissance exacte et géographiquement détaillée sur la base de cartes, et des descriptions précises des lieux n’appartenait qu’à une étroite élite de soldats, politiciens, et enseignants, et pourtant, même parmi eux, la connaissance personnelle d’un lieu était irremplaçable » ; avant de rappeler, toujours avec Hengel, que de ce fait, bien des informations tirées de Josèphe, Strabon, Pline et tant d’autres, sont fausses.
Aussitôt après, notre commentateur souligne de nombreuses autres difficultés : « Le problème des écrivains de l’Antiquité ne se limitait pas à la géographie. Il existe une diversité stupéfiante de gouvernements et d’officiels à travers l’empire romain (..) Il y avait des provinces, certaines contrôlées par le Sénat et d’autres par l’Empereur. Les titres des gouverneurs de ces provinces variaient (par exemple, proconsul, préfets, procurateurs) (..) Il y avait aussi une variété de cités (..) Il y avait des différences dans les gouvernements des cités, selon le type de cité, sa localisation géographique et sa culture ».
Notre commentateur peut alors montrer à quel point Luc se distingue par la sûreté des informations transmises, et cela dans plusieurs domaines :
- Quant aux coutumes, à la géographie et au Temple juifs
- Quant aux autres informations géographiques ou à la culture de l’époque
- Quant aux leaders politiques et religieux
- Quant aux événements historiques
- Quant à la citoyenneté et au système judiciaire romains
- Et, même si cela est fort contesté aujourd’hui, quant à la personne de Paul
Il est impossible et superflu de reprendre chacun de ces domaines, avec tous les points signalés par Price : la liste est impressionnante. Je me contenterai d’en rappeler quelques-uns, qui marqueront la qualité de l’information lucanienne.
Quant aux coutumes, à la géographie et au Temple juifs
L’A. s’intéresse en particulier à l’arrestation de Paul lors de son dernier passage à Jérusalem : ce que Luc dit (Ac 21,30s) de la localisation du poste de commandement romain (en hauteur, avec des marches d’accès), de l’intervention du centurion, de l’existence d’un rebelle égyptien, est conforme à ce que l’on sait soit par Josèphe, soit par la tradition juive ultérieure. Mais en revenant plus haut, au chapitre 3, ce que Luc nous dit de l’heure de la prière, de l’existence d’un impotent forcé de rester à l’entrée du Temple, de l’existence d’un portique de Salomon est conforme à ce que l’on sait de la tradition juive, ou rejoint l’évangile de Jean (10,23).
Quant aux autres informations géographiques ou à la culture de l’époque
Luc va se montrer incollable sur les lieux, usages, et autres des villes que Paul traverse. En Ac 13 par exemple, Luc fait partir Paul pour Chypre en passant par Séleucie, dont Strabon et Polybe attestent qu’il s’agissait bien d’un point de passage ; un peu plus loin, il évoque « Antioche de Pisidie », ville de Phrygie, mais connectée à la Pisidie comme l’atteste Strabon ; en outre, la présence d’une synagogue est vraisemblable compte tenu de la présence d’une colonie juive.
En Ac 14,6, Paul et Barnabé fuient Iconium pour la Lycaonie et ses villes de Lystres et Derbé, ce qui laisse entendre qu’Iconium n’est pas en Lycaonie. De fait, elle se trouve à la frontière entre la Phrygie et la Lycaonie, est associée à cette dernière par plusieurs écrivains (Cicéron et Pline), mais se trouve bien en Phrygie (Xénophon, Cyprien). Etc.
Quant aux leaders politiques et religieux
Anne continue d’être appelé grand-prêtre par Luc en Ac 4,6 bien qu’il ait été déposé par les Romains et remplacé par Caïphe : de fait, Josèphe atteste (Ant. 18.2.2.34-35 ; 20.9.1.198) qu’il a continué de porter ce titre après sa déposition. En 13,7, Luc parle d’un proconsul à Chypre, Sergius Paulus : des inscriptions attestent la présence d’un tel proconsul au temps de l’empereur Claude.
En Ac 18,12, Luc prétend que l’Achaïe était dirigée par un proconsul, et lui donne même le nom de Gallion : de fait, un proconsul tenait le premier rang en Achaïe de 27 av. J. C. à 15 ap. J. C., avant que cela ne soit à nouveau le cas à partir de 44 ap. J. C. Et le nom du proconsul, longtemps ignoré en dehors de Luc, est maintenant attesté par la fameuse « inscription de Delphes ».
J’arrêterai là ce recensement : il est facile de se procurer le document de Price et de s’y reporter. Tous les observateurs objectifs doivent le concéder : Luc est parfaitement informé des noms, usages, localisations, et autres faits bruts. Mais comme il compose, il importe beaucoup plus maintenant de savoir comment il s’y prend, et si l’information se trouve biaisée par cette composition : tel est l’essentiel du travail qui reste à entreprendre.
[1] On en conclura avec raison, et l’on montrera souvent par la suite, que Luc ne vise pas d’abord à faire œuvre chronologique. Ben Witherington, The Acts of the Apostles : A Socio-Rhetorical Commentary (Carlisle : W.B. Eerdmans Pub, 1998), écrit par exemple : « Le principe d’ordre choisi par Luc n’est que secondairement la chronologie. En premier, le principe d’organisation choisi est par région, et groupe ethnique ou sociologique » (p. 368). Mais on aurait tout à fait tort d’en déduire que Luc n’a pas fait du coup œuvre historique : le principe catéchétique ne conduit pas nécessairement Luc à inventer ou refaire l’histoire.
[2] Christopher Price, “A Discussion of the Genre, Historicity, Date, and Authorship of Acts” (2005) : 103.
[3] Hemer, The Book of Acts in the Setting of Hellenistic History, ici p. 31.