Éduquer au dépassement de l’apparence

L’apparence, celle des êtres, gouverne trop souvent notre jugement : les parents d’enfants porteurs de trisomie 21, avec lesquels j’ai contact, ne me démentiront pas, mais je ne voudrais pas m’arrêter à eux. Il est des situations et des paroles qui, interprétées au pied de la représentation ou de la lettre, génèrent des jugements trop rapides et trop raides, souvent des confusions et parfois de douloureuses polémiques !

Contrairement à ce que prétend souvent le sens commun, les images, qui saturent notre espace de communication, sont elles aussi extrêmement trompeuses : les créateurs de « fake news » y ont souvent recours. Comme je l’exprimais dans une récente prédication de semaine, une photographie représentant un geste de la main peut aussi bien signifier un au-revoir que le souci de chasser une mouche ! Quoi qu’il en soit de l’arrière-plan.

C’est d’ailleurs bien l’apparence d’une photo, et le jugement qui s’ensuivait, qui m’ont conduit récemment à contester en ligne le jugement esthétique très négatif de mon ami Jean-Pierre Denis au sujet de la statue d’un groupe d’immigrés que le pape François a fait déposer sur la place Saint-Pierre. Sur une photo dans sa platitude, hors donc de tout son environnement, la statue ne peut être appréciée que dans un cadre étroit, et sous l’angle de la fonction symbolique : c’est à mes yeux insuffisant pour engager un jugement péremptoire.

L’apparence extérieure génère un jugement immédiat, délicat quand il concerne les objets, les situations, ou les paroles, comme je viens de le souligner, mais plus délicat encore quand il s’agit de juger des personnes. Rappelons-nous par exemple qu’Eliab, le fils aîné de Jessé, avait belle apparence et grande taille, mais que Dieu ne l’avait pas choisi car « les vues de Dieu ne sont pas comme les vues de l’homme, car l’homme regarde à l’apparence, mais le Seigneur regarde au cœur » (1 Sa 16,6-7). Jusqu’à Jésus lui-même, « le plus beau des enfants des hommes » (Ps 45,3), dont je ne suis pas aussi sûr que certains qu’il fût « beau gosse », au sens où nous l’entendons aujourd’hui…

Au moment où j’écris ces lignes, je repense à l’admirable chanson de Jacques Brel, Les vieux, dont voici les premières paroles :

« Les vieux ne parlent plus ou alors seulement parfois du bout des yeux
Même riches ils sont pauvres, ils n’ont plus d’illusions et n’ont qu’un cœur pour deux
Chez eux ça sent le thym, le propre, la lavande et le verbe d’antan
Que l’on vive à Paris on vit tous en province quand on vit trop longtemps« .

C’est donc une évidence qu’il faut sans cesse rappeler, la beauté ou la grandeur ne se jugent pas sur l’apparence extérieure, si fragile, si fugitive, déterminée par des critères qui changent avec le temps ou les civilisations, mais bien sur les qualités de cœur qui, elles, sont universelles. Certaines de ces qualités sont données d’emblée, heureux ceux qui en bénéficient, mais elles peuvent aussi être apprises, résulter d’une éducation.

C’est une des grandes forces du pèlerinage du Rosaire, ou de tout autre pèlerinage à Lourdes, que de contribuer à cette éducation en mettant les plus jeunes au contact des personnes âgées, des malades, des handicapés, des défigurés, de tous ceux que nos sociétés marginalisent si souvent et qui se présentent à cette occasion dans leur vérité et leur pauvreté.

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