Saint Joseph, un père modèle

L’été dernier, les sœurs dominicaines chez lesquelles je résidais m’ont invité à donner une conférence sur saint Joseph. En voici le texte.

Mes sœurs, vous m’avez demandé de présenter saint Joseph. J’ai accepté le challenge, mais je ne suis absolument pas un joséphologue averti ; en outre, comme bibliste, j’ai l’habitude de commenter des textes et, comme je vais le rappeler, ceux qui évoquent la personne de saint Joseph dans le Nouveau Testament sont vraiment réduits. Mais soit, allons-y !

Joseph, père modèle

Les pièces du dossier

Bien sûr, nous disposons des récits transmis par les évangiles de l’enfance, qu’il s’agisse de celui de Matthieu ou de celui de Luc, et je vais y revenir. Mais pour le reste, les références sont presque inexistantes : Joseph n’est jamais mentionné dans l’évangile de Marc, et le seul que connaisse cet évangéliste est Joseph d’Arimathie. Dans ce même évangile (6,3), Jésus est qualifié de charpentier (charpentier, ou peut-être plus généralement artisan : le mot grec est tekton. Si tel est le cas, il faut penser à quelqu’un de bien formé et polyvalent), dont il semble que ce fut le métier de son père (Mt 13,55) plus que le sien, mais en dehors de cette inférence, rien n’est dit de Joseph lui-même. Quant à Jean, en 1,45 comme 6,42, Joseph est dit de Nazareth et simplement mentionné comme père de Jésus.

Comme références directes, il faut donc s’arrêter sur les évangiles de l’enfance. Je rappelle qu’il s’agit de deux récits distincts, propres à Matthieu et Luc, et assez différents l’un de l’autre, sans doute en fonction de ceux qui leur ont transmis les informations dont ils disposaient, mais aussi en raison du public auquel chacun de ces évangélistes s’adressent. On sait en effet que Matthieu s’adresse à un public plutôt juif, quand Luc vise un auditoire plus cosmopolite, marqué par les influences grecques.

Ces variations sont claires par exemple dans la généalogie de Jésus, et donc indirectement celle de Joseph : certes, toutes les deux visent à montrer que Jésus est bien fils de David par son père, je vais en reparler, mais pour Matthieu (1,1-16), qui remonte dans le temps, Jésus est le descendant de Nathan, fils de David, quand, chez Luc (3,23-38), qui lui va du plus ancien au plus récent, il l’est de Salomon lui-même.

Remarquons encore que chez Matthieu, Joseph est essentiellement évoqué en raison des songes qu’il reçoit et qui vont dicter sa conduite et celle de sa famille. C’est ainsi qu’il n’est pas mentionné dans la crèche, par exemple lors de la visite, propre à Matthieu, des Mages (2,11) ; tel n’est pas le cas chez Luc lors de la visite des bergers (2,16).

Pour autant, Luc ne donne pas une place beaucoup plus grande à Joseph. Lorsqu’il le mentionne, tant en 1,27 qu’en 2,4, c’est pour souligner qu’il est un descendant de David. Matthieu le fait aussi en 1,16. Il faut s’arrêter sur ce point. C’est en effet la présence de Joseph qui fait de Jésus un descendant de David et donc un prétendant messianique acceptable. Cela ne veut pas dire que la paternité de Joseph a été créée pour la circonstance, mais qu’elle était en tout cas nécessaire dans nos deux récits évangéliques.

De quoi dispose-t-on encore pour donner corps au « dossier Joseph » ? Sans doute peut-on aussi dire quelque chose à partir de la signification même du nom Joseph, celui qui ajoute, ou, à la manière de mon frère dominicain bibliste Philippe Lefèvre, se référer à d’autres Joseph, tel le fils de Jacob. Cela n’a rien d’incongru dans la mesure où, à cette époque et sans doute encore aujourd’hui chez nous, attribuer un nom se faisait souvent en référence à une figure amie ou une figure de l’histoire.

Il existe en effet bien des figures symboliques qui, de manière certes indirecte, annoncent Joseph : Abraham qui offre son fils Isaac (Gn 22), Jacob recevant Rachel comme épouse (Gn 29). La plus marquante est certainement Joseph fils de ce même Jacob, qui « prépare » Joseph l’époux de Marie, non seulement par ses songes, mais aussi par sa présence en Egypte, et même par la manière dont son corps accompagnera son peuple pour l’entrée en Terre Promise. Et on ne doit pas oublier que, si Jésus à sa naissance, a ouvert les yeux et vu Joseph, à sa mort, c’est un autre Joseph qui veillera sur lui, Joseph d’Arimathie.

Voilà donc rapidement esquissé le « dossier biblique ». Comment avancer ? Je vais partir de ce que nous savons de plus sûr, à savoir que Joseph était le père de Jésus. Cette donnée a d’ailleurs fourni la matière essentielle de la lettre Patris Corde, méditation du pape François parue le 8 décembre 2020 « à l’occasion du 150e anniversaire de la déclaration de saint Joseph comme patron de l’Eglise universelle ». Je rappelle les différentes parties de cette lettre, au nombre de sept, ce qui est certainement voulu : père aimé, père dans la tendresse, père dans l’obéissance, père dans l’accueil, père du courage créatif, père travailleur, père dans l’ombre.
N’étant pas le pape François, je ne vais pas refaire ce qu’il a si bien fait, mais je ne manquerai pas de m’inspirer de ses remarques, tout en traitant le thème à ma manière.

Présence et absence du père

Avant toute considération sur Joseph lui-même, je voudrais évoquer brièvement le contexte politique, au sens large, de ma réflexion. Je me souviens donc que l’année 1999, en prévision du jubilé de l’an 2000, fut déclarée « année du Père » par les autorités romaines.

J’ai gardé fortement en mémoire l’impact de cette proposition sur deux de mes amies, toutes deux en bisbille avec leur père de la terre, et dont les souffrances ont été alors ravivées. Leur image paternelle, largement tyrannique, était profondément négative et nous avons beaucoup discuté pour la renouveler : je n’ai toutefois pas eu alors l’idée de leur parler de saint Joseph.

Depuis, d’innombrables publications ont paru pour évoquer à l’inverse l’effacement de la figure du père dans nos sociétés occidentales. Et les dommages qui continuent d’en résulter. Parmi tant d’autres, je relève dans un compte-rendu de l’ouvrage publié dès 2000 par le Conseil pontifical pour la famille , sur le thème Paternité de Dieu et paternité dans la famille, cet écho à l’intervention du professeur de psycho-pathologie M. Polaino-Lorente : celui-ci rappelle

« que le lien parents-enfants met en évidence l’indispensable attachement de l’enfant à ses parents sans lequel celui-ci n’arrivera jamais à avoir confiance en lui. Or, de nos jours, il n’est question que de l’attachement à la mère et de l’absence du père avec, parmi d’autres conséquences néfastes sur le développement cognitif et social de l’enfant, le fait de «se percevoir comme un être dans le besoin et étranger à tout amour de prédilection ».

Le professeur évoque l’absence, mais l’expérience de mes amies telle que je l’ai évoquée plus haut conduirait à élargir le spectre du rapport faussé au Père en mentionnant la trop grande présence. Si j’en reviens maintenant à saint Joseph, il me paraît clair qu’il fut le père par excellence, je ne sais pas si l’on peut dire « le père rêvé » : celui auquel on peut se référer en toute confiance, tout aussi bien présent que suffisamment effacé pour « laisser vivre » son enfant. Voyons-le sur pièces.

Ombre et lumière

Joseph, comme je l’ai rappelé plus haut, joue un rôle effacé, sinon dans l’enfance de Jésus, du moins dans sa vie publique : faut-il alors le lui reprocher ? Il ne le semble pas pour plusieurs raisons.

D’abord, cette absence dans la vie publique peut avoir une raison que nous ne connaissons pas : plusieurs commentateurs, au fil du temps, ont imaginé que Joseph était un personnage plus âgé que nous ne le pensons souvent, et qu’il avait donc quitté notre terre lors de cette vie publique. C’est une possibilité, qui pourrait justifier son étonnante absence dans toute la Passion, et le fait que Jésus ait donc sur la croix confié Jean à sa mère, et réciproquement. Mais à la vérité, nous n’en savons rien. On peut tout aussi bien penser que les évangélistes « n’avaient plus besoin » de prendre en compte la figure de Joseph dans le récit biblique, au-delà de l’enfance de Jésus.

D’ailleurs, dans le cas de Joseph, effacement ne veut pas dire absence. Dans les récits de l’enfance de Jésus, il est déjà bien présent. Chez Matthieu, comme je l’ai déjà mentionné, il est l’homme des songes, tout comme le fut Joseph fils de Jacob (Gn 37 et 41) : Mt 1,20 et 2,12-22. Mais ne nous méprenons pas : pour les deux Joseph, le songeur n’est pas un rêveur, ces songes sont le signe de leur proximité avec Dieu, et une invitation à l’action. Ils sont, faute de Pentecôte, la manière dont Dieu informe et conduit ses élus.

J’ajoute un point important qui concerne Joseph, que l’on trouve dans l’évangile de l’enfance, mais qui a un autre cadre : je veux parler de l’épisode de Jésus retrouvé parmi les docteurs (Lc 2,42-50). Que dit Marie en retrouvant son fils au Temple, après l’avoir cherché avec Joseph ? « Ton père et moi nous te cherchions tout affligés » (v. 48). Bien sûr, l’épisode est profondément théologique, destiné à évoquer la Passion/Résurrection à venir (les 3 jours, la présence auprès du Père, Marie qui tient la première place etc.), ce qui conduira certains à douter de son historicité : mais il n’empêche que si Luc veut nous transmettre un message théologique, il le fait en mentionnant comme il ne l’a pas vraiment fait avant le rôle joué par Joseph.

On le voit ici comme ailleurs, la paternité de Joseph n’est ni tyrannie, ni pusillanimité : il faut dire qu’entre les deux écueils, il existe une grande marge. Que pourtant, tant de pères ont du mal à trouver et occuper. Peut-être le nom qui désigne Joseph, le père modèle, est-il celui d’accompagnateur : d’autant plus qu’il l’est non seulement de Jésus, mais aussi de Marie.

L’humilité du père

Pour en arriver à cette position juste, il ne s’agit pas seulement de bon vouloir : Joseph a écouté et suivi la voix et la voie de Dieu. Le pape François, comme beaucoup d’autres commentateurs, parle d’obéissance, laquelle suppose étymologiquement une écoute préalable : elle est manifeste à l’occasion des quatre songes rapportés en Mt 1-2.
Mais ce ne fut pas pour autant un chemin facile : celui-ci heurtait ses sentiments spontanés. On le constate en Mt 1,19-20 dans l’évocation d’une éventuelle répudiation de Marie. Quelqu’un m’a dit un jour : il faut beaucoup d’humiliations pour générer un peu d’humilité. Et l’on peut sans doute parler de la voie que doit choisir Joseph comme une forme d’humiliation surmontée.

Ce faisant bien sûr, il protège Marie. J’aime beaucoup ce que rapporte le pape François dans sa lettre, en écho à une homélie qu’il prononça en 2017 en Colombie :

« La noblesse de son cœur lui fait subordonner à la charité ce qu’il a appris de la loi. Et aujourd’hui, en ce monde où la violence psychologique, verbale et physique envers la femme est patente, Joseph se présente comme une figure d’homme respectueux, délicat qui, sans même avoir l’information complète, opte pour la renommée, la dignité et la vie de Marie. Et, dans son doute sur la meilleure façon de procéder, Dieu l’aide à choisir en éclairant son jugement ».

Saint Joseph et nous

Je pourrais continuer de déployer le panégyrique de saint Joseph, mais le pape François l’a déjà fait et très bien fait : je me suis juste permis jusqu’ici de compléter et de présenter cette figure sous d’autres angles, un père très présent, un père humble, un père discret.

Mais il me semble qu’il reste une question urgente à aborder : en quoi cette magnifique figure de saint Joseph représente-t-elle un intérêt pour nous aujourd’hui ? En fait, c’est toute la question plus vaste de la sainteté : a-t-elle quelque chose à nous dire ?

Je n’en ai rien dit jusqu’ici, mais je rappelle que le culte de Joseph est très tardif, à la différence de celui de Marie. Il est apparu au 13e siècle, mais ne s’est vraiment développé qu’au 16e et 17e siècle. C’est seulement au début du 17e siècle que la fête est fixée au 19 mars par le pape Grégoire XV, et c’est en 1661 qu’une apparition de Joseph à Cotignac, avec un miracle, sera reconnue officiellement et que Louis XIV choisira alors de mettre son royaume sous sa protection.

Ce bref rappel historique montre clairement que saint Joseph n’a pas eu grand intérêt pour les fidèles pendant des siècles. Pourquoi cela devrait-il changer ? J’y vois trois raisons :

1. La première est, comme je l’ai indiqué, que cette figure paternelle, beaucoup mieux connue aujourd’hui qu’elle ne le fut dans le passé grâce aux études exégétiques, montre un chemin. Particulièrement important dans un temps où la figure du père s’estompe. Oh ! certes, elle est appelée à s’effacer, mais non pas comme le monde nous le montre : Joseph s’efface pour qu’advienne son fils, mais il reste présent à ses côtés. C’est un Juste qui joue juste en toutes circonstances. Même si Jésus a fait grand cas de son Père, avec un grand P, son père adoptif a joué un rôle éducateur incontestable, et épousé une ligne de crête de grande valeur.

2. Cela ne pourrait concerner que les pères de famille. Mais comme je l’ai dit, Joseph a joué un rôle protecteur qui lui est aujourd’hui largement reconnu par l’Eglise. Et je dois moi-même confesser je n’ai pas manqué de recourir à Joseph, avec succès, lorsque j’étais économe de la communauté de Toulouse. D’ailleurs, plusieurs d’entre vous connaissent probablement l’usage de certaines communautés religieuses, disposant d’une statue de saint Joseph : il consiste à la tourner vers le mur lorsque l’intercession du saint n’obtient pas ce qui est demandé ; comme si cela devait nécessairement faire partie de ses attributions !

3. Enfin, je voudrais insister sur la fidélité de Joseph : fidélité à Dieu, à Marie, à Jésus. Très fondamentalement, fidélité à la parole de Dieu, alors même que celle-ci allait profondément contrarier ses attentes et ses projets.
Il faut bien comprendre qu’un saint, ce n’est pas une figure lointaine, un tableau que l’on contemple à l’occasion : un saint, ce devrait être un ami, un confident. Et quel saint laisserait tomber son ami ?

Je vais maintenant conclure cette conférence en vous proposant une prière à Saint Joseph, choisie parmi beaucoup d’autres, avec cette particularité d’être calquée sur le Je vous salue Marie.

Prière à saint Joseph

Je vous salue Joseph, Vous que la Grâce Divine a comblé,
le Sauveur a reposé dans vos bras et grandi sous vos yeux ;
Vous êtes Béni entre tous les hommes, et Jésus, l’Enfant Divin de Marie,
Votre Virginale Épouse, est béni.
Saint Joseph, donné pour Père au Fils de Dieu,
priez pour nous pécheurs,
dans nos soucis de famille, de santé, de travail jusqu’à nos derniers jours,
et daignez nous secourir maintenant et à l’heure de notre mort.
Amen.

Frère Hervé Ponsot o.p.
Accueil Saint-Joseph
Saint-Pierre de Quiberon
13 août 2021

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