Prédication pour la fête des saints Innocents (1 Jn 1,5 – 2,2 ; Mt 2,13-18)
Frères et sœurs, voilà une fête singulière : elle nous conduit en effet à glorifier la mort d’enfants innocents dont, osons le dire ainsi, le salut de l’enfant Jésus est indirectement responsable. Même s’il faut d’abord et surtout incriminer Hérode. Et ce n’est pas le premier cas dans l’histoire biblique, comme le sait fort bien l’auteur du récit : vous devez avoir entendu parler de la mort des enfants premiers-nés en Egypte au temps de Pharaon. Il s’agissait alors de faire pression sur le monarque pour permettre aux Hébreux de quitter le pays et marcher vers la Terre Promise. Reste une circonstance aggravante, à savoir que ce massacre est imputé d’après l’Ecriture à Dieu lui-même, même si celui-ci est censé avoir auparavant « tout essayé ».
Je ne vais pas tenter d’établir les responsabilités en recherchant le fondement historique, toujours discuté, de chacun de ces massacres. Il faut trouver, à défaut de justifications, d’autres raisons pour la mort de ces saints innocents, ceux d’hier comme ceux d’aujourd’hui. La première qui peut se présenter à l’esprit de certains, et sur laquelle je n’insiste pas tant elle est triviale, se trouve dans le proverbe : « on ne fait pas d’omelette sans casser des œufs ». La deuxième mérite plus d’attention : le salut des uns passe souvent par le sacrifice des autres. Je pense entre autres à l’action des militaires, comme aussi, sur un tout autre plan, au don de lui-même qu’a fait un Maximilien Kolbe.
Mais il me semble que le récit évangélique va plus loin : en vérité, et au risque de choquer certains d’entre vous, je dirais que Jésus a contribué à sauver ces enfants innocents. Pour accueillir cette proposition, il faut se départir d’un sentiment bien présent en chacun de nous, à savoir qu’une vie trop courte n’est pas une vie, qu’elle ne méritait pas d’être vécue. Et c’est ainsi bien sûr, on le comprend, que le ressentent les parents d’enfants disparus trop tôt, qu’ils en pleurent et que nous avons à les accompagner dans leur deuil si difficile à faire. Pourtant ces enfants n’ont-ils pas rejoint ce paradis, dont Adam et Eve nous ont éloignés par leur péché, et auquel nous sommes tous censés aspirer ? Ce paradis ne serait-il pas ou plus désirable ?
Il se trouve que, pour la tradition chrétienne, Jésus a rouvert pour chacun de nous la porte de ce paradis, par sa vie et sa mort sur la croix ! Il nous y attend. C’est pourquoi les saints innocents ont pu y trouver place. Et voilà aussi pourquoi nous les fêtons aujourd’hui. Contrairement à ce que l’on dit souvent, saint Etienne n’est pas le premier martyr, les saints innocents l’ont précédé. Ils sont les premiers témoins et bénéficiaires du don qu’a fait Jésus sur sa croix au profit de chacun de nous.