Homélie prononcée le lundi 10 janvier, lors de la célébration des obsèques du frère Denis (textes : Gn 12,1-4 ; Mt 24,42-47). Cette homélie prolonge le billet déjà écrit sur ce même blog à propos de l’exemple donné par le frère Denis.
« Quitte ton pays, ta parenté et la maison de ton père, pour le pays que je t’indiquerai (…) Abram partit, comme lui avait dit le Seigneur ».
Cher Denis, notre prieur provincial m’avait laissé le choix des textes bibliques propres à éclairer notre célébration. Je vais te faire une confidence, jamais je n’aurais initialement pensé prendre celui de l’appel et de la réponse d’Abraham : ton tempérament proverbialement hésitant m’invitait à me contenter de l’évangile plus ‘statique’ sur lequel je vais revenir tout à l’heure.
Mais l’exemple d’Abraham s’est imposé à moi quand j’ai commencé à recenser les multiples changements et départs que la vie familiale puis la vie dominicaine ont occasionnés chez toi. Tant au plan géographique qu’intellectuel. Je ne vais pas tous les rappeler, je l’ai fait sur mon blog, en en oubliant, telle par exemple ton activité au Rosaire comme secrétaire général du pèlerinage ou à la direction générale des commissaires et hôtesses : le mal est réparé !
Certes, on peut repérer des constantes, autour de ton service de chantre, de diverses aumôneries, ou de prise en charge d’églises ou de paroisses. Mais je parle bien de départs et de changements. Laisser au bout de 16 ans une Algérie très tourmentée que tu as aimée et connue, pour de brillantes études d’ingénieur à Paris, passer de l’apprentissage et de l’exercice de l’arabe à ceux du malgache, transiter de Rome à La Réunion puis, Tananarive et Antsirabé où tu passas six ans en solitude dominicaine afin de préparer une implantation qui n’est pas encore réalisée, quitter une aumônerie étudiante ou de prison pour une autre, que ce soit à Toulouse, Bordeaux ou Marseille, tout cela manifeste des talents multiples et une disponibilité peu commune. On trouverait facilement plus hésitant.
Y compris d’ailleurs chez les disciples de Jésus et peut-être chez Jésus lui-même. Je constate que les évangiles sont un peu le reflet de notre monde, « tout, tout de suite », en évoquant l’élan des disciples, mais les évangélistes me semblent avoir enjolivé le tableau. En fait, les hésitations fleurissent au fil des pages jusqu’au lendemain de la Résurrection où tous, et pas seulement Pierre cette fois-ci, s’interrogeaient de la sorte : « Seigneur, est-ce maintenant le temps où tu vas restaurer la royauté en Israël ? ». J’ai osé dire que Jésus lui-même hésitait, en pensant au temps qu’il prenait avant ses grandes initiatives pour être sûr de la volonté de son Père, mais en me rappelant surtout sa réflexion lors de la Passion : « Mon Père, s’il est possible, que cette coupe passe loin de moi ! Cependant, non pas comme je veux, mais comme tu veux ».
En vérité, il y a hésitation et hésitation. D’un côté, l’hésitation pusillanime de celui qui n’entreprendra jamais rien, et de l’autre, celle de Jésus, celle des disciples, de tous ceux qui cherchent comment accomplir la volonté de Dieu et qui se lancent. Hésitation qui fut donc la tienne aussi Denis, et que commentait ainsi l’un de nos frères dominicains : « Denis cherchait à bien faire, mais il n’était pas perfectionniste ». Tu as donc beaucoup entrepris, au point de me surprendre a posteriori. Et d’en surprendre d’autres sans doute.
Tant il est vrai, et je le rappelais tout à l’heure, que tu fus surtout connu et fort apprécié dans cette dimension que rapporte l’évangile, celle de bon et fidèle serviteur dans sa maison. Pour ce qui te concerne, un délicieux mélange de Marthe et de Marie. Tu étais en effet une sorte de Marie, d’une fidélité à toute épreuve aux pieds de Jésus dans la prière personnelle ou commune, comme tu étais aussi Marthe dans toutes les exigences de la vie conventuelle, ne serait-ce que dans ce service de chantre dont j’ai parlé.
C’est d’ailleurs cette fidélité, que certains appelleront régularité, qui t’a probablement soutenu ces dernières années, alors qu’une maladie dégénérative s’était installée en toi : si elle te rendait la communication verbale difficile, tu t’exprimais autrement. Comme je peux en témoigner à la suite de mon passage à Marseille il y a un mois : tu m’avais reconnu, tu aurais sans doute voulu, et moi aussi, que nous puissions communiquer comme nous l’avons fait si souvent par le passé depuis notre année commune de noviciat avec le frère Nicolas-Jean Séd, nos années d’étude à Toulouse, jusqu’à notre mémorable ordination en 1980. Par la parole, ce ne fut donc pas possible, mais ton regard et ton merveilleux sourire ont suppléé. Ta gentillesse, ta qualité d’accueil et d’attention aux autres, étaient tellement marquants que, ces derniers temps, elles se lisaient sur ton visage, faute de pouvoir le faire sur tes lèvres.
Cher Denis, l’évangile que j’ai choisi nous l’a rappelé : « c’est à l’heure que vous ne pensez pas que le Fils de l’homme va venir ». Il est venu pour toi, ou plutôt tu es venu à lui, dans cette discrétion et cette humilité qui t’ont toujours caractérisé. Inopinément donc, même si ta vie exemplaire t’avait préparé à ce passage. Et douloureusement aussi pour ta famille et pour chacun de ceux qui t’ont connu, qui s’étaient attachés à toi et auxquels tu manqueras. Mais comment ne serions-nous pas heureux aussi de penser que le Fils de l’homme t’a accueilli dans sa maison et t’a déjà établi sur tous ses biens ? Car s’il ne l’a pas déjà fait pour toi, pour lequel d’entre nous le fera-t-il le moment venu ?
Merci pour ce beau témoignage sur Denis. Le mot que je retiens à son propos est simple: fidélité.
Il a été un bon et fidèle serviteur de Jésus.
Jean Michel Coulot