Judas, Pierre et les autres

S’agit-il d’une faute que je ne devrais pas avouer ? Tant pis, je l’écris : j’aime le personnage de Judas dans les évangiles, et je le trouve bien maltraité.

Voilà un disciple, pardon plus que cela, un apôtre, un membre du groupe des Douze. On ne sait rien des raisons de son choix par Jésus, et tous les évangélistes semblent n’avoir retenu de lui que son rôle de traître qui semble le définir totalement dès son arrivée parmi les Douze : Mt 10,4 ; Mc 3,19 ; Lc 6,16 ; Jn 6,71. Belle unanimité, mais qui m’interroge : Judas ne joue-t-il pas un rôle archétypal, n’est-il pas l’épouvantail de service ?

En effet, si l’on estime que le ministère de Jésus a duré environ trois ans, Judas fut pendant presque tout ce temps-là un apôtre qui ne semble pas s’être signalé par un quelconque écart. Et au cours du dernier repas, Jésus lui lave les pieds à lui aussi (Jn 13). Le seul écart, sur lequel je vais revenir, serait celui d’une trahison, qui semble avoir été préméditée, après ce lavement des pieds.

Je viens de parler de trahison mais, comme le rappelle Anne Soupa dans une interview au sujet de Judas, le verbe utilisé par les évangélistes lors de l’appel des Douze, signifie « livrer » et non pas « trahir ». Dès lors, force est de constater que, sous d’autres formes, Judas ne fut pas seul à « trahir » : Pierre nie connaître Jésus après son arrestation (Mc 14,66-72 et //). Quant aux disciples, malgré toutes leurs dénégations préalables (Mt 26,35), ils fuient après l’arrestation de Jésus pour n’être pas associés à son sort. Et ils laissent seuls au pied de la croix Marie, quelques femmes et le disciple que Jésus aimait (Jn 19).

Pourquoi Judas, lui, a-t-il « trahi » ? Nous n’en avons pas d’explication évidente, sinon une suggestion : il aurait été un voleur (Jn 12,4-6). L’évangéliste laisse entendre que la « trahison » était dans la nature de Judas, ce qui interroge sur le choix initial de Jésus ! Mais soit, ne peut-on aussi, voire surtout, penser qu’il a été profondément bousculé par le refus de Jésus d’assumer une royauté terrestre ? Sentiment largement partagé par les disciples, à en juger par la question qu’ils posent au lendemain de la résurrection :

« Etant donc réunis, ils l’interrogeaient ainsi : « Seigneur, est-ce maintenant le temps où tu vas restaurer la royauté en Israël ? » » (Ac 1,6)

Il est facile d’objecter que le « reniement » de Pierre, comme l’on dit pour lisser l’événement, n’a pas eu les conséquences funestes du « reniement », pardon de la « traîtrise » de Judas, mais je crois que l’on s’enferre dans des estimations douteuses. A mes yeux, le tort de Judas fut moins de trahir Jésus, comme d’autres l’ont fait, ni même de ne s’être pas repenti, mais d’avoir douté d’un pardon possible, à l’inverse de Pierre (Mt 26,75), ou de l’un des brigands crucifiés à côté de Jésus (Lc 23,39-43 ; Jn 21,15-17).

« Alors Judas, qui l’avait livré, voyant qu’il avait été condamné, fut pris de remords et rapporta les 30 pièces d’argent aux grands prêtres et aux anciens : « J’ai péché, dit-il, en livrant un sang innocent. » Mais ils dirent : « Que nous importe ? A toi de voir. » Jetant alors les pièces dans le sanctuaire, il se retira et s’en alla se pendre. » (Mt 27,3-5)

Les points que je viens d’évoquer ne cherchent pas à « réhabiliter » Judas, comme d’autres s’y essaient (voir par exemple la publication, en 2006, d’un « Evangile de Judas »). Elles veulent simplement rappeler que tout Judas n’est pas dans le fait de sa traîtrise, pas plus que nous ne sommes réductibles à nos péchés : sauf à faire le choix de s’y enfoncer en refusant le pardon de Dieu.

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