La chose est connue, les réseaux sociaux sont une des chambres d’écho de la vie du monde. Dans cette chambre-là, l’émotion est reine : les événements rapportés, les faits livrés jouent majoritairement sur l’émotion volontairement provoquée. Les réactions, dont témoignent les courriers des lecteurs, sont celles attendues : directes, à l’emporte-pièce, sans distance, et, il faut le dire, souvent sans connaissance réelle du ou des sujets abordés.
Celui qui veut « aller plus loin » ne peut dans un premier temps esquiver cette émotion, car elle va aussi contribuer à le faire réagir. Mais quelle voie lui est ensuite offerte ? Ajouter l’expression de son émotion à celle des autres internautes ? La question ou l’événement qui a provoqué l’émotion n’en seront pas plus éclairés. Il me semble que sans un passage à la compassion, qui combine à la fois distance et proximité, on en restera à la surface de l’événement.
Nombreux sont ceux qui connaissent les douloureuses épreuves traversées par Anne-Dauphine Julliand, son mari et son fils restant Arthur : trois autres enfants partis vers le ciel. A la lecture de ses billets, et surtout de ses ouvrages, l’émotion est légitimement à fleur de peau. Mais ses plus récentes publications, je pense à l’ouvrage Consolation, et ses nombreuses interventions publiques invitent clairement à dépasser ce stade de l’émotion pour en venir à ce qu’elle appelle donc Consolation. Un « être-là » symbolisé par la présence un jour à son chevet et celui de sa fille d’une infirmière qui ne lui a pas dit un mot. Clairement à mes yeux une forme magnifique de « compassion ».

Celle-ci n’a pas nécessairement quelque chose à dire, elle ne se paye pas de mots sinon ceux de la prière, elle est distance et présence tout à la fois. Comme le rappelle avec raison Anne-Dauphine dans toutes les conférences ou vidéos où je l’ai entendue, on ne peut se mettre à la place de celui qui souffre, car la souffrance est toujours unique et intime, mais on peut être à ses côtés.
Pour la chrétienne qu’est Anne-Dauphine, mais avec une grande pudeur que je souhaite respecter, pour le Dominicain que je suis, et qui s’exprime souvent publiquement sous des formes diverses, l’attitude évoquée rejoint celle de Marie et du disciple que Jésus aimait, restés présents mais muets au pied de la Croix (Jn 19). Nous sommes au-delà de l’émotion, dans le registre de la compassion ou de la consolation comme l’on voudra. Existe-t-il plus grand témoignage d’amitié que cette présence réelle et muette auprès de celle, de celui, de ceux qui souffrent ?