L’expurgation d’un livre au nom de l’ordre moral

Ordre moral et manuscrits
Manuscrit raturé

« De Roald Dahl à Ian Fleming, de Jane Austen à Disney, les œuvres des auteurs disparus sont aujourd’hui retouchées et affadies pour complaire aux diktats d’un nouvel ordre moral. » Cette phrase est l’accroche d’un article paru dans Le Figaro, évoquant les tourments des éditeurs face aux prétendues dérives de certains auteurs. En cause, nous dit-on, « des mots jugés infamants, « nègre », mais aussi « gros » ou même « secrétaire », en clair toute description tenue pour dépréciative ».

Bien sûr, quand je lis cela, je m’insurge comme beaucoup devant tant de bêtise. Toute œuvre littéraire est marquée, tant du fait de son sujet que de sa forme, par son époque : vouloir en effacer les traces n’est certainement pas la meilleure manière de la comprendre.

Mais je bats ma coulpe et me dis que, dans un passé lointain, et plus récemment encore, les chrétiens n’ont pas toujours été et ne sont pas toujours en reste dans cette pratique de l’expurgation au nom de l’ordre moral. Pour le passé, je rappelle qu’au deuxième siècle de notre auteur, un commentateur de la sainte Ecriture, Marcion, voulait établir une distinction radicale entre le Dieu guerrier de l’Ancien Testament et le Dieu d’amour du Nouveau Testament. En conséquence de quoi, il rejetait l’Ancien et ne gardait du Nouveau que l’évangile de Luc et dix lettres de Paul. Il n’a été que très peu suivi, et il convient ici de rappeler une formule attribuée à saint Augustin :

« Novum Testamentum in Vetere latet, Vetus Testamentum in Novo patet ». « Le Nouveau Testament est caché dans l’Ancien. L’Ancien Testament est manifeste dans le Nouveau. »

Je ne sais pas si le lien que j’établis entre le marcionisme et les pratiques nouvelles des éditeurs parlera à mes lecteurs, mais je peux les assurer que cette pratique de l’expurgation au titre de l’ordre moral d’une époque continue d’exister en christianisme sous des formes diverses. On peut bien sûr penser à tout ce qui s’est passé autour de ‘L’histoire d’une âme », de sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus.

Mais il existe des éléments encore plus récents. L’un d’eux se rencontre dans nos livres catholiques de prières dits bréviaires où, après avoir il y a quelques années mis entre parenthèses ou italiques certains versets de psaumes jugés trop violents, « imprécatoires », des éditions actuelles les suppriment carrément et laissent une parenthèse vide à leur place.

A titre d’exemple, voici : « Heureux qui saisira tes enfants pour les briser contre le roc » (Ps 137,9). Dur sans doute, mais quelle est cette Babel mise en cause dans le psaume ? N’est-elle pas une représentation du Mal ? Alors, peut-on s’étonner que l’on s’en prenne à lui et à ses rejetons ? En outre, lequel de mes lecteurs n’a jamais eu, dans des situations douloureuses, ce genre de pensée, voire de propos ?

Prenons en conscience, si les psaumes sont les paroles de toutes situations et de toutes époques, que tout le monde doit pouvoir dire, alors cette expurgation empêchera certains d’entre nous d’exprimer et de prier leur douleur en la confiant au Seigneur ! Que s’éloigne de nous et de notre époque tout marcionisme rampant.

Une réponse à “L’expurgation d’un livre au nom de l’ordre moral”

  1. Bonjour Frère Hervé,

    Il n’y a rien à expurger ! Pour l’A.T., plus on se rapprochera de l’hébreu et plus ce sera fidèle à l’Esprit qui est passé par les Prophètes juifs (voir Chouraqui). De même, pour le N.T. : plus on se rapprochera du grec (/du latin) et plus on saisira l’Esprit dans sa diaspora géographique. A condition, bien sûr, de ne pas voir des pommes, fussent-elles celles des peintres célèbres, à la place de fruits !
    Belle après-midi !
    Philippe

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