Frères et sœurs, j’imagine que si j’avais lu sur une place publique ces phrases « tu n’exploiteras pas l’immigré, tu ne l’opprimeras pas » sans en indiquer l’auteur, plusieurs chrétiens présents l’auraient attribué au pape François. Vous venez de l’entendre dans le livre de l’Exode : le pape ne fait que reprendre une thématique biblique très ancienne, prolongée dans le Nouveau Testament.
Pourquoi cette attention particulière à l’immigré ? La réponse se trouve dans la suite de la phrase : « vous étiez vous-mêmes des immigrés au pays d’Égypte ». Il est probable que cela n’est le cas de personne ou très peu d’entre nous ici si l’on doit se référer à l’Égypte. Mais ne sommes-nous pas, quelle que soit notre origine, des « immigrés sur la terre » ? J’entends en effet cette phrase de l’apôtre Paul dans sa lettre aux Philippiens : « pour nous, notre cité se trouve dans les cieux ». Les chrétiens et tous les hommes sont des exilés du Paradis !
On peut évidemment débattre de cette raison de prêter une attention particulière à l’immigré, mais Jésus nous en propose une autre dans l’évangile que nous venons d’entendre. Il s’agit d’une exhortation des plus connues, même en dehors des cercles chrétiens : « Tu aimeras ton prochain comme toi-même ». Elle est souvent réduite à sa première partie, l’amour du prochain, et on en néglige la deuxième partie, « comme toi-même ».
Cette partie est pourtant essentielle, et elle n’est pas sans conséquences sur la lecture de l’exhortation. Elle peut en effet être comprise de deux manières tout à fait liées : comme une invitation à s’aimer soi-même, ou comme une invitation à aimer l’autre comme soi-même. S’aimer soi-même, non pas bien sûr au sens de s’enorgueillir de ce que l’on est ou pense être, mais rendre grâce à Dieu pour sa vie, et s’accepter tel que l’on est en vérité, au plus profond de soi, avec ses qualités et ses défauts. Une telle reconnaissance conduit à voir avec bienveillance et mansuétude, cette personne qui m’entoure et dont je me sens a priori si éloigné : ses différences si irritantes ne sont pas loin d’être les miennes.
Dès lors, cet autre, qu’il soit ou non un immigré, se présente comme un autre moi-même. Voilà pourquoi, à titre personnel mais je ne suis sûrement pas le seul, face à telle personne très différente de moi et me posant problème, je me dis souvent : « si Dieu l’avait voulu, j’aurais pu naître à sa place ! ». Et cela change complètement la considération que je peux avoir de cette personne.
Frères et sœurs, il n’est pas facile de s’aimer soi-même, et moins encore d’aimer, le tout autre qui m’est pourtant si proche, et qui, par plusieurs traits, est un autre moi-même. Jésus a aimé les publicains, les pharisiens, les prostituées, une Samaritaine, ou encore un centurion romain, un représentant des envahisseurs. C’est à ce même amour sans limites que Jésus affirme que l’on reconnaîtra ses disciples.
Textes : Exode 22, 20-26 ; 1 Thessaloniciens 1, 5c-10 ; Matthieu 22,34-40
Prédication donnée le 29 octobre 2023, au couvent des Dominicains de Montpellier.