Le handicap justifie une attention particulière

Depuis ma rencontre avec Gaspard Clermont, dont j’ai dit et écrit tant de fois combien je lui étais débiteur, j’ai multiplié les contacts avec le monde du handicap, et particulièrement celui de la trisomie 21 chez l’enfant. Cela s’est traduit dans deux participations, et une troisième à venir, à la « retraite des Bien-Aimés de Dieu« , organisée hors pandémie chaque année en juillet à la Sainte-Baume ; ou bien dans un déjeuner au café Joyeux de l’Opéra à Paris. Mais tout ceci est ponctuel, et l’essentiel se situe plutôt dans le suivi de plusieurs pages Facebook de familles touchées par ce handicap : la famille Noël avec Marie et Tombée du Nid, Vanessa avec Rose, Chantal et Christian avec Marie, Alexandra avec Guillaume, Agnès et Nicolas avec Clémence, Rebecca avec Pia, Elisabeth et Jean-Philippe avec Christian, Caroline et Rémy avec Louise, et j’en oublie.

J’ai rencontré personnellement plusieurs de ces familles chez elles. Alors, on me demande souvent « ce que je fais avec elles », ou avec leurs enfants handicapés : à la vérité, rien, dans la mesure où je ne cherche pas à leur proposer quelque chose, juste à être là, à me nourrir de ce qu’ils vivent, écrivent et partagent. Je suis d’ailleurs souvent ému aux larmes de ce qu’ils communiquent, sous forme de billets, de photos, de vidéos. Peut-être ne m’en faut-il pas beaucoup pour que ce soit le cas ! La plupart de ces familles sont chrétiennes, mais pas toutes. En fait, quelle que soit leur foi, je suis toujours touché par leur manière de faire face aux conséquences du handicap, d’essayer, le plus souvent avec succès, de l’accueillir, voire de le dépasser.

Mais tout cela ne dit pas, je crois, le fond de mon attachement à cette forme de faiblesse comme à d’autres. Il procède d’une conviction : dans un monde qui se délite, et qui se reconstruit lentement sur de nouvelles bases encore bien cachées, je pense résolument, à la suite de saint Paul (« Ma force se déploie dans la faiblesse« , 2 Corinthiens 12,9), que la faiblesse, quand elle est reconnue et accueillie, est une vraie force. Les familles dont je parle en témoignent abondamment, sans qu’elles se réfèrent toutes ou toujours à la foi chrétienne. Elles ne cachent pas leurs difficultés, et parfois leurs découragements, mais elles disent que leur manière de se situer dans leur environnement, et surtout de considérer la vie et ses valeurs ont changé. Et quand bien même cela pourrait paraître paradoxal, voire incroyable, beaucoup témoignent combien leur joie est grande d’avoir accueilli le handicap.

L’accueil de la faiblesse n’est pas, bien sûr, l’apanage de ces seules familles : chacun de nous en fait l’expérience dans sa vie, et le plus souvent à plusieurs reprises. Mais dans le cas du handicap, la faiblesse est le plus souvent impromptue, violente et durable. D’autant plus difficile que « le monde » ne lui fait jamais bon accueil, tant elle est provocante pour qui se sait imparfait mais refuse de le reconnaître : « le monde » en question cherche donc plutôt à éliminer tout ce qui pourrait le lui rappeler.

Ce n’est pas seulement vain et insupportable à mes yeux, c’est comme on dit aujourd’hui « contre-productif ». Car j’ai une autre conviction, nourrie elle aussi à partir de la Bible (Genèse 1-3) : notre monde est imparfait, il l’était hier et il le sera demain. La faiblesse humaine est native, elle participe de cette imperfection. Alors oui, bien sûr, il faut lutter contre la faiblesse comme telle, tenter d’y remédier ou de la dépasser, mais certainement pas au prix de la vie des faibles qui ont un rôle essentiel de témoins. Pour le dire de manière ramassée sur un point précis, je comprends les soins palliatifs, mais en aucun cas l’euthanasie.

Et le fruit de cette conviction se concrétise actuellement pour moi dans mon petit apostolat en hôpital psychiatrique, ou dans les contacts pris avec la représentation montpelliéraine de la communauté de l’Arche. Allez, ne me demandez pas ce que j’y fais ou compte y faire parce que je vais à nouveau vous répondre : rien, juste être là ! Mais avec la certitude que ce rien est important parce qu’il annonce un monde nouveau, en lente gestation, où j’espère ou veux croire que la faiblesse sera reconnue comme une véritable force. Un monde que les porteurs de handicap et leurs familles préparent et auquel ils me préparent.

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