Une surabondance inépuisable

Prédication donnée au Monastère Notre-Dame de Protection, chez les Bénédictines de Valognes. Textes : 2 R 4,42-44 et Jn 6,1-15.

La performance a de quoi faire rêver : nourrir cinq mille hommes et leurs familles à partir de cinq pains et deux poissons, chapeau l’artiste ! Pas seulement une abondance, mais une surabondance. Alors, les commentateurs s’interrogent et rivalisent d’ingéniosité pour comprendre le miracle. Par exemple, puisque je viens de parler de chapeau, n’est-ce pas déjà un peu ce que font les prestidigitateurs en faisant sortir un lapin de leur chapeau ? Oui, il doit y avoir un truc. Cela, c’est l’interprétation magique.

Elle ne vous convient pas ? Alors, prenons les choses par un autre bout, l’interprétation allégorique par exemple qui a connu tant de succès à certaines époques de l’histoire de l’Eglise. Cinq pains, deux poissons, les chiffres sont trop précis et trop beaux : alors, on nous propose de voir dans les pains les livres de la Torah, et dans les poissons les deux autres recueils de la bible hébraïque, à savoir les Ecrits et les Prophètes.

Je ne sais pas si l’une de ces deux interprétations vous satisfait mais, lorsqu’on les lit à la suite de l’histoire d’Elisée, capable lui aussi de multiplier le pain en dehors de toute dimension magique et symbolique, force est de se dire que la multiplication opérée par Jésus a un fondement solide. D’ailleurs, Jésus ne fait-il pas mieux en termes de puissance que cette multiplication ? Par exemple, lorsqu’il pardonne les péchés d’un paralytique avant de le guérir. Jésus est capable de toucher au cœur et pas seulement au corps.

Surabondance de nourriture

Puisqu’il nous est bien difficile de contester cette multiplication comme de comprendre comment elle s’est faite, accueillons cet acte de puissance tel qu’il nous est présenté sans essayer de décortiquer son origine et interrogeons-nous plutôt sur sa signification profonde. Ce qui frappe dans notre évangile, c’est la surabondance inépuisable. C’était déjà le cas la semaine dernière, où Jésus avait nourri spirituellement pendant des heures la foule de son enseignement, avant même de le nourrir physiquement. Abondance de paroles, abondance de nourriture.

Dans un billet paru dans le livret Magnificat, une remarquable exégète protestante, Marion Muller-Colard, définit cette surabondance comme un surcroît et non un surplus. Je la cite : « le surplus est encombrant, le surcroît est inattendu », et nous le négligeons souvent. Dans notre évangile, comme avec Elisée dans la première lecture, il est préservé. Pour notre exégète, cette surabondance renvoie à Jésus lui-même, qui se dévoile et se donne, mais garde toujours une partie de son mystère. Ce qu’il manifeste en se retirant.

Intéressante lecture, j’irais juste un peu plus loin en soulignant que les restes remplissent douze corbeilles : chiffre symbolique qui manifeste que l’acte de puissance pourrait être renouvelé autant de fois que les disciples ou les foules pourraient le souhaiter sans pourtant se dissiper. Alors, notre évangile s’éclaire : qui d’autre que Jésus pourrait ainsi se donner sans réserve dans le pain eucharistique, nourrir pleinement ceux qui le reçoivent, sans en être jamais diminué pour autant ? Seigneur, donne-nous toujours de ce pain-là !

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