Infobésité, késako ? Nos amis canadiens ont forgé ce mot à travers lequel certains auront reconnu les deux thèmes de l’information et de l’obésité. En français métropolitain, on parlera plutôt de « surcharge informationnelle » : avec un côté pédant que n’a justement pas le terme obésité. Lequel ajoute une dimension maladive qui va généralement de pair avec toute surcharge.
S’il n’est ni possible ni de notre intérêt de revenir sur la mondialisation, force est bien de reconnaître qu’elle a apporté avec elle son lot d’inconvénients, voire de malheurs. Et la surcharge informationnelle, pardon l’infobésité, à propos de laquelle tous les psy-quelque chose attirent de plus en plus l’attention, est du nombre. Clairement renforcée par l’addiction aux écrans.
J’avais, dans un précédent article, attiré l’attention sur l’angoisse causée par le fait de « n’être pas au courant ». Evidemment du dernier article paru, de la dernière information etc. Quand cette information était locale, elle était souvent singulière et « rattrapable », mais maintenant qu’elle est mondiale, et que l’on nous fait comprendre en même temps qu’elle ne cesse pas de nous concerner, alors nous sommes totalement dépassés. Et cette infobésité devient source de nombreux travers.
Je viens d’évoquer l’angoisse de se retrouver sur la rive, mais il en est une autre à rester dans le courant. En effet, chacun sait que l’actualité charrie de nombreux immondices, que les informations sur les guerres, les meurtres, les dérives, les abus, et tant d’autres douloureuses et pesantes sont largement majoritaires. Rares, et souvent difficiles à tenir dans la durée, sont les canaux d’informations évoquant le bien et les choses remarquables qui se font à tel endroit, dans telle circonstance. Alors, quand vous croulez sous les mauvaises nouvelles, cela favorise la compassion et souvent l’action (voir le récent tremblement de terre en Turquie/Syrie), mais aussi le risque de couler : tout le monde n’a pas la force de les porter.
Mais j’en viens à la qualité de l’information, pour ne pas dire sa vérité. A ce point que les organes d’informations ont dû mettre en place des équipes spécialisées chargées de détecter les « infox« , autrement dit encore les « fake news« . A l’inverse, nombre d’institutions politiques et certainement toutes les dictatures, et la fédération de Russie n’est pas seule, disposent d’organismes spécialement chargés de produire de telles infox, à grand débit.
Le lecteur ou l’auditeur, baladé d’une information à une autre, parfois totalement contradictoire, ne sait plus à quel saint se vouer. On l’invite à choisir, mais en vertu de quels critères ? De ses émotions ? De son orientation politique ? Mais ce n’est là qu’un premier effet, il y en a d’autres. Il est aisé de se rendre compte que la pratique du « surf », et plus encore du « zapping« , est une conséquence directe de l’infobésité : avec le sentiment que, plus l’on en saura, plus on sera informé. Alors que l’effet est presque inverse, on se noie et l’on ne sait plus rien vraiment !
Autre effet, la perte du goût du livre, plus encore que de la lecture. L’instantanéité va de pair avec l’infobésité : les infobèses ne discutent plus, ne « creusent » plus, ils restent en surface. L’écriture et la lecture d’un livre demandent toutes deux du temps, de la concentration. Très symbolique de cette dérive me semble être la plus grande partie des « courriers des lecteurs », où les réactions émotionnelles sont très largement majoritaires, et dont l’indigence réflexive est décourageante.
Allons-y pour un autre travers, la fameuse « gratuité ». Elle paraît devoir aller de soi : après tout si l’information devient payante ici, ne trouvera-t-on pas plus ou moins la même ailleurs, et gratuitement ? Qui aujourd’hui répond aux multiples appels des créateurs de Wikipedia, dont chacun fait j’en suis sûr un large usage, à financer les exigences de la plateforme et la peine prise par certains rédacteurs ? Me tromperais-je en pensant qu’ils ne représentent qu’un infime pourcentage des utilisateurs réguliers, a fortiori occasionnels ? Les principaux journaux nationaux ou locaux ne pouvaient manquer de réagir face à cette gratuité quasi-exigée, et l’on ne doit pas s’étonner que la lecture de leurs articles devienne de plus en plus souvent payante.
Je m’arrête là, avec cette impression de donner une leçon à mes lecteurs. Qu’ils sachent que je me la donne d’abord à moi-même : d’accord, j’ai cotisé à plusieurs reprises pour Wikipedia, j’ai l’habitude de laisser mon smartphone dans ma cellule, mais cela ne me rend nullement indemne d’infobésité. Pour prendre un exemple, force m’est de constater que j’ai du mal à lire, en tout cas à aller jusqu’au bout d’un livre, aussi intéressant soit-il : l’écran et l’information futile me convoquent trop souvent ! Je confesse donc le dommage pour moi, et je me dis simplement qu’il s’agit là d’une alerte à transmettre à d’autres.