Dieu et César

Sur Isaïe 45,1.4-6 ; 1 Thessamoniciens1,1-5b ; Matthieu 22,15-21. Une brillante homélie sur un texte difficile et rebattu du frère Jean-Marc Gayraud le 22 octobre 2023

Question d’argent, question de pouvoir. Les interlocuteurs de Jésus veulent mettre ici en concurrence le pouvoir de ce monde, le pouvoir de César, avec celui de Dieu. Le moins qu’on puisse dire, c’est qu’ils ne sont pas mus par une intention droite. La flatterie le dispute à l’hypocrisie afin de tendre un piège à Jésus. Ils montrent par là qu’ils sont eux-mêmes pris dans ce jeu de pouvoir qui est l’objet propre de leur questionnement. Devant une telle roublardise, la réponse de Jésus est sans appel. Plusieurs interprétations peuvent être données de sa réaction. J’opte pour celle qui prend à rebours la duplicité des interlocuteurs. En posant un geste d’une déconcertante naïveté, Jésus déjoue le piège qui lui est tendu. Il rend droit ce qui est tordu et il permet d’ouvrir à un questionnement de fond. La pièce est à l’effigie de César ? Rendez donc à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu ! Il affirme une plate évidence et il nous renvoie à une question décisive.

L’argent est une affaire humaine, trop humaine. Il est le symbole par excellence des pouvoirs de ce monde. Dieu n’entre pas en compétition avec ce pouvoir comme avec aucun autre pouvoir. Il n’y a aucune commune mesure entre Dieu et César, entre les choses du ciel et celles de la terre. Dieu et César ne se disputent pas le terrain comme deux intérêts ou deux pouvoirs qui seraient opposés l’un à l’autre. Tout est de Dieu, tout est par lui, tout est pour lui et il n’est rien de nos affaires humaines, rien de nos choix, de nos agissements, de notre vie, de toute la création, qui ne le concerne. Il n’est rien de la réalité de ce monde qui ne doive se recevoir de sa grâce et ne doive passer par le jugement.

Si les choses de Dieu et les affaires humaines ne sont jamais séparées, elles ne doivent surtout pas être confondues pour autant. En distinguant clairement Dieu et César, Jésus refuse à César quelque caractère divin que ce soit. Il était d’ailleurs écrit sur ces pièces de monnaie : « au divin César ». Dieu n’est pas là pour cautionner nos affaires humaines. Elles sont entièrement remises entre nos mains. Dieu ne joue pas avec notre liberté. Aussi, dans mon rapport à quelque pouvoir, quelque prérogative ou quelque responsabilité que ce soit, je serai redevable devant Dieu de la manière que j’ai d’en user, de l’utiliser, d’en abuser peut-être.

Aucun pouvoir de ce monde ne saurait donc être sacralisé. Il n’est pas de pire perversion que de se servir de Dieu pour légitimer nos instincts de pouvoir, d’emprise, de domination. Ce Dieu-là n’est jamais qu’une monstrueuse idole surgie de notre volonté de puissance. Les pires violences peuvent être causées par une telle instrumentalisation du mystère de Dieu, l’histoire comme le temps présent l’attestent trop souvent, qu’il s’agisse de violences faites aux personnes ou aux peuples.

Il ne faut donc pas confondre le ciel et la terre. Chaque fois que l’on a voulu ramener le ciel aux horizons de la terre, on a produit l’enfer. Chaque fois que l’on a voulu installer sur cette terre un monde parfait tel que nous le concevons, on a produit le pire. En Jésus, le ciel est bien descendu sur la terre mais c’est pour que la terre puisse monter au ciel et il s’agit alors d’une terre nouvelle, purifiée, sanctifiée, recréée par l’œuvre de Dieu en elle. Le christianisme change le monde parce qu’il change de monde.

Mais changer de monde ne nous évade pas de ce monde-ci, bien au contraire. C’est ici-bas qu’il nous appartient dès à présent de changer de monde. Le Christ nous engage à discerner au cœur du monde les germes du Royaume qui pourront le transformer et à faire croitre ces semences du monde nouveau que le Père ne cesse jamais de semer. Une telle entreprise n’est bien ajustée que si elle commence par s’opérer dans notre propre cœur. Le mystère pascal de mort et de résurrection est à l’œuvre jusqu’à ce que passe ce monde et le mal ne sera définitivement vaincu qu’à la fin des temps. En attendant, œuvrons chaque jour « pour la gloire de Dieu et le salut du monde ».

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