Je pense que beaucoup de lecteurs de ce blog ne sont pas sur Facebook et qu’en outre, ils ne connaissent pas André Markowicz. Je précise donc qu’il s’agit d’un romancier français, mais d’origine russe, traducteur de Dostoievski, parlant bien sûr aussi bien le russe que l’ukrainien. Ses chroniques en ligne sont une mine d’informations pertinente et très appréciée par les lecteurs, sur la guerre menée par la Russie en Ukraine, et même, par ricochet, sur la destruction de Gaza. Voici une chronique parmi d’autres, plutôt longue comme toujours avec cet auteur.
On n’a sans doute pas fait assez attention à la synchronicité : l’assassinat de Navalny (dont, au moment où j’écris, personne n’a vu encore la dépouille, après plus de trois jours), et la prise d’Avdéïevka. Les deux ont la même raison : un effacement soudain des USA.
Ce qui s’est passé à Avdéïevka dans les derniers jours, tout le monde le décrit comme quelque chose d’inouï par la violence et l’intensité – après deux ans de guerre : le déluge de feu qui est tombé sur cette ville, aujourd’hui rasée de la surface de la terre, totalement réduite à l’état de ruines, a été sans exemple. L’artillerie, l’aviation, les attaques d’infanterie, – et un rapport de 10 à 1 quant aux munitions pour les Russes, – ce qui s’était déjà produit à Sévérodonetsk et Lissichansk, mais avec moins de forces en présence. Les Russes ont perdu quelque chose comme 17000 hommes tués, et 30000 blessés (je ne connais pas les pertes ukrainiennes, mais, même avec un ratio de un Ukrainien tué pour quatre Russes (ce qui était le cas à Bakhmout), c’est totalement épouvantable. Les Russes avançaient et avançaient, ne comptaient pas les pertes – ils ne les comptent pas, en général. Et cette offensive d’Avdéïevka n’était pas unique : l’armée russe attaque sur toute la ligne de front, du nord au sud, avec la même violence, la même rage. C’est sur toute la ligne de front que le rapport de forces est le même : les Ukrainiens, à cause des républicains américains (à cause de Trump), n’ont pas le quart des munitions qu’ils devraient avoir, et ils tiennent encore, sur tout le front, même si, à Avdéïevka, ils ont dû se retirer (ce qui ouvre aux Russes la voie vers les autres villages, tant au nord, au centre qu’au sud).
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Poutine a attaqué parce qu’ils le peuvent, parce qu’ils ont senti la faiblesse de l’OTAN. Ils ont tué Navalny pour la même raison, parce que, comme je l’ai dit avant-hier, il pouvait le faire.
Cet assassinat, appuyé par l’acharnement de l’attaque russe, signifie une chose : ce n’est pas seulement un signe à l’intérieur, et une menace de mort pour tous les opposants (en fait, cette menace était déjà claire depuis longtemps), non, c’est un signe adressé à l’OTAN. Et, là encore, ce n’est pas seulement pour dire que « je peux le faire, je le fais ». C’est pour dire : pour vous débarrasser de moi, il faudra d’abord me tuer. C’est pour montrer qu’il y a aujourd’hui, entre les pays de l’Alliance, et la Russie (avec, derrière, ses alliés… l’Iran, et sans doute la Chine, mais pas que…), une lutte qui n’est pas une lutte, mais une guerre, et une guerre à mort. La guerre n’est pas contre l’Ukraine. C’est une guerre contre toute idée de démocratie en général. Et tout signe de faiblesse ou de peur est un appel à davantage de crimes : les tueurs ne connaissent que le langage de la force. Tous les ordres arguments sont juste nuls et non avenus.
Est-ce un hasard si, dans le même temps, l’Allemagne et la France ont signé un accord de « défense mutuelle » (ou comment ça s’appelle ?) entre elles et l’Ukraine ? Mais qu’est-ce que ça veut dire ? Que nous allons, enfin, fournir davantage d’armes ?…. Il faudrait le faire vite, très vite, et fournir les avions, que l’Allemagne a toujours refusé de livrer, comme elle a tellement tardé pour les chars, à cause de sa volonté de ménager les intérêts industriels de la Russie (qui sont aussi les siens). Je ne sais pas ce que ça veut dire. Je sais que, pour l’instant, c’est l’Ukraine qui défend la France et l’Allemagne, en se défendant elle-même, et que, cette lutte, là encore, c’est une lutte à mort : quand la Russie occupe un territoire, elle occupe des ruines, quasiment dépeuplées, elle instaure son régime de terreur. D’après ce que je peux comprendre, il n’y a des débuts de reconstruction qu’à Marioupol, – et pour une raison précise : pour effacer les traces d’un massacre qui a coûté la vie à, au minimum, 100.000 civils, aujourd’hui, officiellement, du côté russe, considérés comme « déplacés » ou « inconnus ». Tout le reste est laissé, selon la doctrine Serguéïevstev, à l’état de décombres, – juste assez pour faire entièrement dépendre les survivants, hébétés, terrorisés, des distributions russes.
Nous en sommes là. C’est une guerre à mort, dans laquelle l’Ukraine paye pour la seule raison qu’elle s’est autorisée – que les Ukrainiens se sont autorisés – à vouloir être libres, non déterminés par leur proximité géographique avec ce pays de terreur qu’est, et qu’a toujours été, la Russie.
Si l’Ukraine est écrasée, c’est nous qui le serons. – Et, oui, les perspectives sont là : une victoire des fascistes au Parlement européen, et une victoire de Trump. Et là, tout de suite, Rafah : et la bande de Gaza détruite dans la même proportion que Marioupol (entre 80 et 90% de tous les bâtiments). (J’y reviendrai, mais pas dans cette chronique-ci).
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Et, vous savez quoi, ça ne sert à rien de désespérer, parce que le désespoir donne des armes à l’ennemi. Non, il faut voir où nous sommes, – où nous en sommes. Et déjà – pour moi, toujours – le dire.
Ne dormez pas. Partagez. Juste, quoi, ne détournez pas les yeux. Lisez et regardez. Soyez conscients du prix que paient des êtres humains pour que, vous vous viviez, souvent plus mal que bien, mais sans les bombes.