A partir du moment où je me suis investi « en ligne », autrement dit dans les années 90, j’ai toujours rêvé de communications raisonnées et raisonnables, de sorte que l’émotion ne soit pas prioritaire, aux dépens de l’échange, et n’affaiblisse la quête de vérité. Ma fibre d’enseignant, active à l’Institut catholique de Toulouse, me poussait en ce sens : combien de fois ai-je invité mes étudiants à justifier rationnellement leurs propos. Dans les années dont je parle, alors que les réseaux sociaux n’existaient pas encore, cela semblait possible : la communication en ligne se faisait essentiellement à partir de « sites », et l’émotion ne se trouvait que dans d’éventuelles remarques de lecteurs. D’ailleurs, quand on parlait de « lecteurs » dans ces années-là, c’était essentiellement ceux des livres.
Je me souviens que mes « débuts » ont donc consisté à « faire connaître » la personne de saint Dominique, le fondateur de mon ordre religieux. Et étant encore une sorte de pionnier, il n’y avait guère de sites concurrents, bien mieux faits que le mien, pour me disputer cet enseignement.
C’est peu de dire qu’avec l’émergence des réseaux sociaux, comme avec la démocratisation et la mondialisation de l’information, les choses ont considérablement changé. Souvent « en bien », il faut le dire d’emblée : des échanges fructueux sont nés, des amitiés fortes se sont créées, des financements partagés ont favorisé l’émergence d’heureuses initiatives autour de centres d’intérêts communs ou de projets, des dérives voire des scandales ont été dénoncés sur de nombreux plans (politique, judiciaire, économique, spirituel) etc..
Souvent aussi « en mal ». Tout monde pensera immédiatement aux « infox », en anglais « fake news« , et à toutes sortes de trafics d’influence. Mais il ne faut pas négliger la prééminence souvent soulignée de l’émotion, l’infobésité, le rêve d’une impossible immédiateté, l’explosion de l’individualisme, la négligence du prochain le plus proche, toutes choses qui s’illustrent en particulier dans la rue ou les transports en commun : une quantité, souvent une majorité, de piétons ou de voyageurs ont le casque vissé sur la tête et le smartphone en main.
Pas de doute, l’enseignement en ligne partagé, lorsqu’il n’est pas institutionnalisé et contraint, semble bien de l’ordre du rêve. Certains, moi-même un temps, ont pourtant essayé de le mettre en œuvre, via quelques groupes ou réseaux spécialisés, mais ils sont rares. Sans doute faut-il trouver la cause de cette difficulté, en fait de cet échec, plus haut, et nos sociétés commencent à s’en rendre compte : même avec Zoom et consorts, la médiation des écrans crée des murs plus que de véritables agoras. Rien ne remplacera jamais la communication en direct.
Ou celle du livre papier qui est quand même une forme de communication développée, en relation avec l’auteur, tout autre chose que des « billets » ! L’émotion qui naît de la lecture d’un livre reste à mes yeux incomparable.